Le 22 avril 2025


- Genre : Autobiographie, Drame, Roman graphique, Société
- Editeur : Casterman
- Famille : Roman graphique
- Date de sortie : 2 avril 2025
Quand l’inceste arrive dans le roman graphique.
Résumé : L’autrice livre une autobiographie bouleversante sur un tabou qui a brisé pas seulement elle, mais plusieurs membres de sa famille, aux prises avec un grand-père incestueux qui sera protégé par le silence, le temps et la société.
Critique : Les romans, le cinéma, la TV s’étaient déjà emparés d’un thème pernicieux qui existe dans la société, mais dont elle tait la présence depuis toujours : l’inceste. La BD est désormais dans cette même ligne : dénoncer évidemment, mais aussi et surtout raconter. Marine Courtade en a fait l’amère expérience, les histoires de famille ne sont pas des choses que l’on aime remuer. Car dans chaque famille, il a existé, ou existe encore, des grands pères, oncles ou proches qui ont abusé d’enfants. Elle-même touchée, elle a du non seulement subir les attouchements de son grand-père, comme d’autres cousines avant elle, mais elle s’est heurtée à un silence en retour, une certaine tolérance même. Devenue adulte et journaliste, décidée à en finir, elle va aller interroger ses oncles et tantes pour savoir ce qu’ils savaient, pour comprendre ces mécanismes, pour enfin en parler et pouvoir avancer. Cette thérapie graphique est bouleversante à bien des égards, car on comprend la colère, la douleur et la frustration de Marine, car sa famille bordelaise est un reflet évident de toutes celles françaises qui continuent de protéger un modèle de silence entretenu, de toute une société patriarcale qui ne jure que par la domination et l’abus de confiance, alors même que l’on parle d’enfants. Avec l’affaire Betharram qui sort, on peut se dire que ce temps est révolu, que désormais les gens vont parler, mais beaucoup en sont encore à protéger, minimiser, détourner l’attention d’un sujet pourtant exceptionnel.
Marine Courtade, Alexandra Petit / Casterman
Le travail d’introspection s’accompagne d’un dessin régulier, sensible, Alexandra Petit étant présente pour graver dans le dessin ces visages qui changent, ces moments graves, ces lignes de vie brisées sur quelques gestes. Loin d’un roman graphique qui déborderait d’un style où les cases partiraient en spirale pour évoquer le gouffre, où les traits du bourreau seraient rayés par un crayon en colère, on a une ligne qui ne bouge pas, où les couleurs se font plus froides pour évoquer une émotion, mais sans se révéler surréaliste. Elle est seulement devenue proche d’un polaroïd, mais pas d’un concours de dessin original. Il faut saluer cette approche presque à contre courant, car elle montre une héroïne de tous les jours dans un quotidien qui correspond à beaucoup, dans une famille plutôt aisée, avec une maison de vacances agréable et des cousins nombreux. Personne n’est diabolisé par le dessin, personne n’est épargné non plus, car c’est la vie présente qui se déroule, le passé étant abordé par la parole mais pas souvent représenté.
© Marine Courtade, Alexandra Petit / Casterman
En parlant d’un sujet que l’on tait habituellement, On ne parle pas de ces choses là est une œuvre autobiographique qui est d’utilité publique autant que de potentiel culturel, par son caractère bouleversant universel, exutoire d’une colère qui touche trop de gens, partout et depuis toujours.
224 pages – 25 €