Le 27 avril 2018
Un documentaire passionnant, formellement audacieux, qui interroge notre regard sur la folie.
- Réalisateur : Nicolas Contant
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Distributeur : Espérenza Productions
- Durée : 1h23min
- Date de sortie : 2 mai 2018
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Résumé : Nous les intranquilles commence au centre d’accueil psychothérapeutique Artaud. Le groupe cinéma du centre raconte la maladie, la thérapie, leur rapport au monde. Après un premier geste documentaire, le film devient participatif et met en scène son élaboration en collectif. Les personnages cherchent à donner une image humaine de la folie. Ils s’amusent des idées reçues pour mieux les subvertir. En s’emparant ensemble du projet artistique, ils montrent qu’un autre monde est possible.
Notre avis : Le postulat d’un questionnement sur la folie suppose une interrogation sur la notion d’altérité : qui est l’autre que je nomme, parce que je me prends pour la norme, parce que je produis un discours depuis celle-ci ? Partant de là, le documentaire procède très habilement selon un principe de mise en abyme, qui mime les effets du miroir tendu par ceux que l’on nomme ici des intranquilles. Le film maltraite le principe de la linéarité, en étant lui-même son propre documentaire : il met en scène le tournage de l’œuvre à faire, jusque dans ses tâtonnements qui démentent l’idée d’une production rationnelle. C’est la meilleure façon de prendre acte d’une aporie : parce qu’il est vain de cerner la folie et ceux qui, soi-disant, l’incarnent.
Autant la valider par une forme, dont les ruptures synesthésiques (images et sons) approchent la réalité d’une perception différente et plurielle. Du réel, des autres. Et autant confier la caméra à ceux qui sont concernés : les patients.
Le résultat s’avère globalement passionnant : il alterne les témoignages propres au genre du documentaire et des moments de pur suspens, qui réfèrent à la modernité artistique : le cubisme d’un Picasso ou le cinéma surréaliste des années 20, celui d’un Man Ray, par exemple. On pense en particulier au chef-d’œuvre L’étoile de mer et à son usage systématique du flou, en même temps que du montage syncopé. Toutes les ressources du langage cinématographique, rassemblées dans une intentionnalité hyper-réaliste, s’attachent à saisir la spécificité des individus. Ainsi, le point de vue d’une patiente, circulant dans les transports en commun, est d’abord envisagé selon un gros plan du regard dont l’insondable mystère révèle une opacité obsédante. Celle-ci offre à la spéculation du réalisateur la possibilité de se déployer : un fondu enchaîné prend le relais, juxtapose l’image d’une gargouille et de cette femme, puis un slogan graffité succède -"là où je suis n’existe pas"-. On aimerait laisser ce singulier personnage à son épais mystère. Pourtant, la femme finit par produire une parole, pour se dire malade et rappeler qu’une expertise psychiatrique l’a définie comme telle, a même contraint cet aveu. Puisque les autres le disent, c’est donc que cela doit être vrai.
Prise dans les filets du savoir, encadrée par une structure institutionnelle, la folie brute est ramenée à la juste proportion d’un objet à contenir. Michel Foucault avait donc raison.
Mais les fous ne se laissent pas si facilement enfermer : et ils sont bien capables de refuser les classifications du dernier DSM, au cours d’un groupe de parole où leur propos a la clarté d’une revendication. Comme il est toujours hasardeux et pour le moins pernicieux de prétendre à une nomenclature universelle des comportements humains, quelques voix se font entendre, défendent l’irréductibilité de chaque individu. Un homme proclame son droit à être malade plutôt qu’à souffrir. Un autre remarque très pertinemment que la folie est produite structurellement par une société qui maltraite ses travailleurs les plus pauvres.
Au fil des témoignages se dessine le profil d’une communauté qui aspire à être libre et laisse béantes les plaies ouvertes par notre regard inquisiteur.
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