Netflix & Cie, les coulisses d’une (r)évolution : arme de séduction massive

Notre avis : Alors que les plateformes suscitent toutes les craintes de la part des professionnels, exploitants, producteurs, programmateurs de festivals et autres acteurs du paysage audiovisuel traditionnel, l’heure est à l’interrogation quant à l’avenir.
Capucine Cousin intervient peu avant le lancement des autres offres à venir de quelques mastodontes qui vont accentuer la fracture entre le traditionnel et la nouvelle télévision. On parle de Disney et de contenu exclusif pour Star Wars et Marvel, Apple qui voudrait programmer des œuvres sans violence et sans contenu haineux. La liste des prédateurs est longue.
Pour l’instant, les grandes plateformes se démarquent surtout en fidélisant les curieux grâce à une offre pléthorique en séries télévisées pour masquer la pauvreté de leur répertoire en films qu’ils tentent de diminuer par la production d’œuvres maison, productions originales, que la France a dû mal inscrire au patrimoine du cinéma tant ils sont restreints aux petits écrans du monde mobile.
L’ouvrage analytique de Capucine Cousin s’intéresse en particulier aux rapports conflictuels entre notre pays et le géant Netflix. Après tout le pays de l’exception culturelle ne voit-il pas ses entrées restées élevées, avec une diversité de films à l’affiche de salles qui continuent d’ouvrir un peu partout sur notre territoire ? La production française doit-elle toujours passer par un financement à l’ancienne via des partenaires historiques du 7e art (chaînes de télé, qui subissent la mobilité, et surtout Canal +, plus récalcitrant, car en perte d’abonnés), alors que la chronologie des médias ne cesse d’être contestée ?
L’ouvrage débute par l’histoire même de Netflix, ancien vidéo-club par correspondance, de ses balbutiements à son envol en cousin lointain de Canal +… Les nostalgiques apprécieront le flashback renvoyant à l’âge insouciant du téléchargement illégal qui mériterait bien seul un ouvrage à lui, et aux réponses légales proposées, notamment Spotify. Les changements de consommation sont alors accentués par l’avènement d’une offre télévisuelle adulte qui se démarque de la frilosité du marché cinématographique, déjà gangrené par l’omniprésence des franchises et blockbusters d’action : Six Feet Under, Nip/Tuk, Lost…
Netflix a sa réponse au prix exorbitant des coffrets vidéo ou de l’horripilante attente entre chaque épisode… Il faut permettre au consommateur de se gaver (le fameux Binge watching), accentuer l’addiction d’un public déjà dépendant aux écrans. L’adaptation de la série britannique House of Cards est l’une des œuvres initiatrices du phénomène, avec un budget monstre et des stars de cinéma, ou du moins de stars que le cinéma veut moins : Kevin Spacey ou Robin Wright n’étaient plus très bankable en 2013 quand la série émergea, mais le nom de David Fincher à la réalisation, lui, l’était toujours autant.
La journaliste aime revenir sur l’incroyable ascension de Netflix, son acquisition d’un vivier de séries mythiques (Twin Peaks notamment) et le débauchage régulier de noms essentiels du 7e art, sans oublier la signature d’un partenariat énorme avec Disney/Marvel (Jessica Jones, Luke Cage, Daredevil...).
Forte du machine learning et de ses redoutables algorithmes qui permettent d’évaluer les goûts de chaque client, Netflix est une arme de séduction massive, au goût expansionniste évident, 2010, le Canada, la France, après tout le monde, en 2014, après une année de lobbying politique et auprès des acteurs historiques (vous comprendrez grâce à cet ouvrage pourquoi la série culte House of Cards n’est apparue qu’en 2018 sur la plateforme de Netflix, après des années de diffusion sur Canalplay, et pourquoi la série Marseille a été produite par le géant américain.
L’ouvrage fait la lumière là où il peut sur des pratiques opaques, une société mutique où le contrat des réalisateurs est soumis à une stricte close de confidentialité, où les statistiques des films sont inconnus, même par les auteurs des films programmés, où les œuvres sont parfois indécemment achetées pour la perpétuité ! L’investigation est parfois reléguée au deuxième plan face à la réalité murale du géant qui fait bien des émules, ceux mentionnés dans la dernière partie et qui décrochent déjà des contrats avec des cinéastes hallucinants (si Netflix a réussi à offrir un blockbuster à 100M$ à Scorsese, Apple de son côté lui a volé la vedette en signant Spielberg !).
N’oubliant pas de s’ouvrir sur la Chine, comme énième facteur de déstabilisation de l’ordre culturel mondial, l’analyse de Capucine Cousin est surtout un historique assez complet des bouleversements sismiques que la culture audiovisuelle traverse depuis une dizaine d’années. Ceux qui n’y connaissent rien et les fascinés de la WebTV auront matière à lire dans ce condensé essentiel d’une époque pas comme les autres.

Table des matières :
Avant-propos
Introduction – Bataille rangée sur la Croisette
Les prémices : du DVD envoyé par courrier postal
Les débuts de la révolution du tout-illimité culturel
L’ascension fulgurante de Netflix
Netflix dans l’Hexagone
Hollywood, le nouveau terrain de jeu de Netflix ?
Netflix face à l’« exception française »
L’audiovisuel, nouveau terrain de jeu des GAFA
Conclusion – L’horizon d’un « tueur en série(s) »