La kalash’ pour tous
Le 29 mai 2018
Un synopsis minimaliste se transforme en scénario alambiqué et une fusillade devient le prétexte à une rhétorique de puritanisme coranique... assurément, il faut mettre de côté nos réflexes de cinéphiles occidentaux pour profiter de la force de ce pamphlet féministe venu du Pakistan.
- Réalisateur : Sarmad Masud
- Acteurs : Suhaee Abro, Eman Malik, Razia Malik
- Nationalité : Britannique, Pakistanais
- Distributeur : Septième Factory
- Durée : 1h32mn
- Date de sortie : 9 mai 2018
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Résumé : Dans une région isolée du Pakistan, les terres sont l’objet de toutes les convoitises et les querelles de famille se règlent les armes à la main. Quand son père est injustement emprisonné, Nazo une jeune fille de 18 ans, se retrouve seule avec sa sœur et sa mère, assiégées par des bandits armés, engagés par leur oncle Mehrban pour s’approprier leur maison. Mais Nazo, comme le lui a enseigné son père, ne se soumet pas.
Notre avis : Au Pakistan, les querelles d’héritage se règlent à coups de kalachnikov. Il faut avoir intégré cette dure réalité pour appréhender sereinement ce premier long-métrage de Sarmad Masud (un réalisateur qui s’est fait connaître via des séries britanniques) mais surtout pour bien s’assujettir de son argument « tiré d’une histoire vraie ». En effet, si l’histoire de Nazo Dharejo est connue au Pakistan, ou au moins dans sa région du Sindh, elle méritait d’être racontée en Occident. C’est dans cette finalité de concevoir ce qui pourrait s’assimiler à un biopic que Masud n’a pas limité son scénario à un échange de coups de feu, mais a pris soin de revenir sur chacun des enjeux, familiaux comme juridiques, qui l’ont entraîné. Que Nazo, sa sœur et leur mère se retrouvent encerclées par des miliciens surarmés est pourtant un postulat parfait pour un western à la sauce orientale tant il rappelle automatiquement celui d’Alamo, mais ce retour sur des évènements antérieurs va l’empêcher de calquer sa mise en scène sur celle de John Wayne ou tout autre cinéaste états-unien.
- © La Septième Factory
La façon dont Masud a conçu son film, à savoir en cumulant les flashbacks, allant jusqu’à faire se multiplier les arcs temporels, pèse lourdement sur sa dramaturgie puisque le public se retrouve dans la situation -pas toujours confortable- de devoir se demander, pour chaque scène, auquel elle se raccroche. Pour cela, l’étalonnage est souvent l’outil qui aide le plus à reconstituer ce puzzle narratif, puisque les évènements ont tendance à apparaître avec une teinte rouge proportionnellement aussi saturée qu’ils sont anciens. Une règle qui va d’ailleurs s’avérer erronée dès lors que le réalisateur va commencer à mélanger ces allers-retours dans le temps à une dimension onirique en plus. Le spectateur devrait malgré tout réussir à rattacher les wagons et mettre l’ensemble dans une chronologie cohérente. Ce qu’il risque en revanche de regretter dans cette déconstruction en rupture avec les codes traditionnels occidentaux, c’est qu’elle empêche à l’arc central de se donner le temps de faire monter la tension qui devrait pourtant être le moteur d’un tel thriller.
- © La Septième Factory
Nul doute que la véritable force de ce long-métrage n’est pas plus son suspense que sa violence, mais bel et bien son discours féministe et surtout la façon dont celui-ci parvient à s’accorder avec la mentalité de bon musulman du père de l’héroïne. Si les flashbacks sont si nombreux, c’est indubitablement pour faire de cet homme, dont la mort a été le point de départ de ces querelles qui se règleront dans le sang, le cœur du scénario. L’opposition entre les valeurs qu’il a inculquées à ses filles, vantant l’honneur familial au même titre que le respect des traditions coraniques, et la cupidité de son matérialiste de frère (qui a, de plus, une vraie tête de vilain) a pour conséquence un manichéisme qui n’a rien à envier aux classiques hollywoodiens. Puisqu’il est impossible de donner tort à ces femmes oppressées, le film gagne son pari d’objet de lutte contre la loi islamique qui leur interdit le droit d’héritage. Paradoxalement, c’est davantage dans l’exploitation d’un autre sujet qui tenait à cœur au cinéaste, à savoir la corruption et la violence des policiers locaux, que son film s’assure cette dimension transgressive qui compromet sa carrière pakistanaise. Souhaitons-lui au moins de ne pas passer inaperçu en Europe et qu’il puisse ouvrir les yeux de ceux qui ne sauraient pas encore à quel point la vie des femmes peut être difficile dans ce pays.
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