Commedia dell’arte
Le 3 avril 2022
Fresque grandiose, ce portrait de la vie de Molière regorge de beautés visuelles. Ariane Mnouchkine réalisait un coup de maître pour sa première incursion dans la fiction cinématographique.
- Réalisateur : Ariane Mnouchkine
- Acteurs : Philippe Caubère , Brigitte Catillon, Jean Dasté, Roger Planchon, Joséphine Derenne, Maurice Chevit, Daniel Mesguich, Jean-Claude Bourbault
- Genre : Drame, Biopic, Historique
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Films du Soleil et de la Nuit
- Editeur vidéo : Bel Air Classique
- Durée : 4h10mn
- Date télé : 3 avril 2022 12:30
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 30 août 1978
- Festival : Festival de Cannes 1978
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Comment un petit garçon né en 1622 d’un père tapissier et d’une tendre mère qu’il perdra trop tôt, deviendra un acteur prodigieux et auteur universel. Le film relate la vie de Molière, d’une enfance modeste à la gloire royale, en passant par l’expérience de l’Illustre Théâtre et ses amours avec Madeleine et Armande Béjart.
Critique : Coproduit par Claude Lelouch, la chaîne publique Antenne 2 et la RAI, renfloué par Alexandre Mnouchkine, le père de la réalisatrice, lorsque le budget fut dépassé, Molière est un film-fleuve en deux époques, sorti en salles en 1978, et feuilleton télévisé de quatre épisodes trois ans plus tard. À l’exception d’une collaboration au scénario de L’homme de Rio et d’un documentaire sur son spectacle 1789, Ariane Mnouchkine n’avait jamais œuvré pour le cinéma. L’équipe artistique et technique de Molière se compose de sa troupe du Théâtre du Soleil, de professionnels du cinéma et de comédiens familiers des planches. On reconnaîtra ainsi Jean Dasté (le marinier de L’atalante), dans le rôle du grand-père de Molière, ou bien encore Roger Planchon (Colbert) et Daniel Mesguich (Monsieur, frère du roi). Ariane Mnouchkine tenait à ce mélange de personnalités issues des planches et du 7e art et qui avait permis un apprentissage réciproque de technologies et de démarches esthétiques. Tourné à la Cartoucherie de Vincennes, transformé en gigantesque studio hollywoodien, dans les décors naturels du Larzac et dans ceux du château de Versailles, le film bénéficia de conditions de production exceptionnelles. Mnouchkine a voulu dresser un portrait dépoussiéré de Molière, loin d’une imagerie d’Épinal et de la vision académique de type « Lagarde et Michard ». Préférant peindre l’homme dans son époque, elle s’attarde sur l’enfance et la jeunesse de l’acteur-dramaturge, et ses débuts dans l’Illustre Théâtre. Le Molière de Mnouchkine est surtout un homme de troupe, baigné dans son enfance par le théâtre de rue, scrutant de son regard les travers humains (médecins, dévots...), et choisissant sa voie par engagement. C’est un très beau film sur les rapports d’argent, d’amour et d’amitié qui peuvent exister au sein d’une communauté, mais aussi sur les relations entre l’artiste et le pouvoir. Si Molière évolue de la petite bourgeoisie à la société de cour en passant par la misère paysanne, la réalisatrice montre aussi avec acuité son environnement social. La séquence dans laquelle des campagnards affamés en viennent à demander l’aumône aux baladins puis manger leurs chevaux est significative de cette volonté d’ancrer le film dans un contexte socio-historique. Ariane Mnouchkine s’inscrit ici dans un courant des années 70 qui souhaite présenter une vision plus réaliste et moins édulcorée de l’Histoire, à l’instar de Bertrand Tavernier dans Que la fête commence.
On décèlera aussi dans ce Molière un esprit post-soixante-huitard : l’amour libre et les bains nus entre les membres de la troupe rejoignent ceux de la contre-culture hippie, la révolte des étudiants contre les autorités voulant les priver de carnaval a des relents de contestation à la Sorbonne et l’utilisation du dialecte paysan fait écho aux velléités régionalistes de cette décennie... Mais il serait réducteur de ne voir que cet aspect de l’œuvre. Molière est un film d’une imagination foisonnante qui se fiche avec bonheur des anachronismes et imprécisions, évacuant des passages-clefs de sa vie et son œuvre (Le Bourgeois gentilhomme), et préférant s’attarder sur des digressions et du superflu, contrairement aux biopics lourdingues du cinéma actuel. Le jeu de théâtre entre le petit Poquelin et son ami adolescent ou les câlins réclamés à une mère malade sont quelques uns des instants privilégiés du film, qui culmine avec la plus belle séquence de carnaval depuis Les enfants du paradis et une scène délirante de théâtre emporté par le vent... L’alternance de spectacle baroque avec jeu d’acteurs forcé et de passages intimistes distanciés et nimbés de non-dits est ce qui fait en fin de compte le prix de Molière : le mariage contraint d’une jeune fille et d’un vieillard, une répétition en plein air entre Jean-Baptiste et Armande Béjart (Brigitte Catillon), ou la mort de Madeleine Béjart (Joséphine Derenne) sont filmés avec une maîtrise rare, un art de la contemplation synthétisant théâtralité, plan fixe et œuvre picturale. Il faut dire aussi que la mise en abyme est fascinante, l’identification de la troupe du Soleil à l’Illustre Théâtre semblant évidente. Inconnu à l’écran, Philippe Caubère, rayonnant de jeunesse et d’une aisance de jeu, trouvait ici le rôle de cinéma de sa vie. Fraîchement accueilli au Festival de Cannes, où on lui reprocha sa longueur et son emphase (la mort de Molière, musique de Henri Purcell à l’appui), le film connut une distribution d’abord limitée puis rentra dans ses frais grâce à des projections en milieu scolaire. Les professionnels lui décerneront deux César : meilleure photo pour Bernard Zitzermann et meilleurs décors pour Guy-Claude François.
– Extrait de Molière
– Césars 1979 : Meilleure photo - Meilleurs décors
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.