Miquette et sa mère - la critique du film

Notre avis : Miquette et sa mère est la seule comédie de Clouzot, et à vrai dire on comprend qu’il n’ait pas persisté dans cette veine, d’autant qu’il adapte ici une pièce de boulevard plutôt balourde signée des compères Flers et Cavaillet. Une commande, certes, et pas des plus simples : gags éculés, procédés attendus (jeux de mots, prétérition, répétition, quiproquos…), situations convenues, bref, rien de très affriolant. Pourtant de ce plat indigeste, Clouzot tire un parti étrange. Il choisit d’abord de se situer très nettement dans des décors artificiels voyants dès le théâtre initial. De théâtre d’ailleurs, il est question d’un bout à l’autre, depuis les rêveries de Miquette assistant à une représentation calamiteuse du Cid jusqu’à la survenue des auteurs et les saluts, mais un théâtre miteux, interprété sans moyens par des cabotins, et que l’héroïne abandonnera sans regrets. Mais surtout Clouzot fait de ce boulevard une mécanique artificielle dans laquelle les personnages sont des marionnettes grimaçantes, une sorte de squelette du genre qui, au lieu de dissimuler ses ressorts, les révèle et même les met en plein jour. Il exagère à ce point que l’intrigue, malgré un dénouement aussi heureux que prévisible, en devient inquiétante : rien de naturel, plutôt une caricature permanente et boursouflée ; étonnant parti-pris qui amoindrit même l’humanisation finale des personnages. On ne sera donc ni ému ni pris de fou-rire, mais interloqué par le culot d’un réalisateur qui semble se venger de devoir tourner une comédie en la tirant vers la bouffonnerie. Clouzot s’amuse même de clichés fleurant la belle époque, entre apartés et intertitres.

Quelques répliques sont amusantes, soyons juste, surtout parce qu’elles sont portées par des acteurs magnifiques : entendre Jouvet répéter : « Tais-toi, Noémie » ou « Je sors par le fond », voir Saturnin Fabre jouer les séducteurs, ce sont là des plaisirs qui ne se refusent pas. De même Bourvil dans un rôle classique de benêt est-il parfait et les apparitions de Pauline Carton ou de Jeanne Fusier-Gir sont évidemment délectables. Même la jeune Danièle Delorme assure en ingénue amoureuse. Mais ce qu’on attend de Clouzot, et que l’on retrouve épisodiquement, sa marque, c’est la noirceur. Avec cette comédie elle se niche dans la peinture d’une province étriquée, étouffée dans ses préjugés et ses rumeurs. Elle perce aussi dans les moments de lucidité : c’est Jouvet reconnaissant son absence de talent ou Fabre acceptant son âge à l’instant où, comme chez Molière, les jeunes vont avec les jeunes. Pour ces séquences, pour une image léchée, pour le parti-pris tenu presque jusqu’au bout, on verra Miquette et sa mère avec plaisir, malgré l’évidence qu’il s’agit d’une œuvre mineure dans une période de réussites majeures.