Merdre : Jarry, le père d’Ubu - La chronique BD

Connu pour ses extravagances et son fameux personnage du Roi Ubu, si célèbre qu’il donnera son nom à un adjectif, Alfred Jarry est un de ces auteurs maudits, pétri de talents et de défauts, dont la vie vaut le coup d’être contée. Le duo Rodolphe-Casanave s’y attelle donc avec panache, et après Rimbaud et Nerval, un nouveau destin s’étale sur plus de deux cent pages. À la clef, des anecdotes véritables et une plongée dans les ruelles mal famées et les bars bon marché du monde artistique, cette fois du début du XXème siècle. Champion de course cycliste, tireur d’exception et alcoolique chronique, Jarry a le sens du spectacle en société, se forgeant un personnage. Les puristes apprécieront le souci des origines de son personnage Ubu, qui jalonne l’album, même si l’œuvre est précoce. Ubuesque, la vie de l’auteur l’est aussi, fauchée trop vite, entre petites folies et grandes inspirations, et l’ensemble se lit d’une traite, défilant au son du « merdre » de la pièce. Un « merdre » à la société, à la vie, au public et à la critique, à ses ennemis et amis, qui résonne encore dans les théâtres et ce qui subsiste de Montmartre et de Pigalle. Parisienne avant tout, cette biographie montre une vie plus romanesque que certains Balzac ou Zola, une vie tragicomique, à l’image des œuvres de l’écrivain.

© Casterman

Après Nerval l’inconsolé, Daniel Casanave repart dans un décor qu’il commence à apprécier : le Paris des artistes, aussi fauché et subtil qu’il peut être somptueux et puéril. Le grain en noir et blanc qui compose les pages fait surgir un héros maigrelet, à l’œil de jais et qui semble toujours grincer des dents ironiquement. Une prouesse car les personnages sont simples d’apparence, et c’est dans les petits détails du décor retranscris, des effets d’encadrement inventés que tout le travail complexe se libère. Il y a une vie dans ce petit théâtre de planches, comme dans celui que Jarry voulait à tout prix monter. Rimes d’adolescents, jeux d’adultes, le dessin y va de ce double discours, avec brio.

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Biographie qui démarre sur un ton détaché et qui finit sur une note comme un sanglot étranglé, la vie du père d’Ubu n’est pas de tout repos, fatigante par ses excès mais accaparante dans sa prodigalité. Retranscrire de manière fidèle, d’après lettres, postfaces et archives, était une belle prouesse, que le duo a relevé.