Mercenaire - la critique du film

Critique : Le réalisateur Sacha Wolff a réalisé ces dix dernières années bon nombre de documentaires. Pour sa première fiction, soucieux de s’approcher au mieux de la réalité, il passe un mois en Nouvelle-Calédonie où les Wallisiens sont nombreux, afin de s’imprégner de leurs coutumes. Il fréquente assidûment le rugby local et nous propose ainsi des scènes de mêlées d’une précision à jeter au sol même ceux qui pensaient ne nourrir aucun intérêt pour ce sport. Loin des représentations télévisuelles, il s’attache à nous dévoiler la grâce et la force des moindres mouvements. Pourtant, la course derrière un ballon ovale n’est pas l’objectif essentiel de ce film qui préfère ne pas rater cette occasion, rarement exploitée au cinéma, de nous faire découvrir les rites et traditions de cette France de l’autre bout du monde qu’est l’île de Wallis, tout en suivant le parcours douloureux de son héros Sloane, en quête de liberté. Une mise en scène cadrée, dépouillée de tout pathos, installe le récit dans un univers viril presque militaire, renforcé par les milieux codifiés (rugby, culture wallisienne stricte) dans lequel il évolue. Si la violence est omniprésente et parfois extrême, elle n’est jamais gratuite. La distillant subrepticement et habilement, le réalisateur parvient à nous convaincre qu’elle est le socle de la construction de ce jeune homme placide, imprégné des traditions ancestrales polynésiennes et trop longtemps coincé entre l’emprise de son père et celle d’Abraham, son agent.

© Ad Vitam

Quand il accepte la proposition d’un recruteur aux méthodes douteuses de rejoindre un club de la métropole, Sloane, colosse à peine sorti de l’adolescence, sait qu’il va s’attirer les foudres et surtout les coups de son père, homme violent et alcoolique, qui, usant de la raison du plus fort, selon la coutume wallisienne, ne s’exprime qu’en frappant. C’est la seule méthode qu’il connaît pour dire à son fils qu’il l’aime. À peine posé le pied sur sa nouvelle terre d’accueil, notre jeune exilé comprend que son recruteur l’a trahi et que personne n’est prêt à l’aider. Pourtant, il n’est pas question pour lui de renoncer. Loin de ses rites et traditions, il va devoir apprendre à surmonter les difficultés du déracinement et supporter d’autres formes de violence : l’indifférence des recruteurs qui le jaugent comme du bétail, le cynisme des entraîneurs qui lui font ingurgiter, sans se soucier un seul instant de sa santé, une multitude de produits dopants,(l’essentiel est qu’il « fasse de la masse »), le racisme des autres joueurs pour qui il ne peut pas être un Français comme les autres, la promiscuité du logement.

© Ad Vitam

On regarde avec un étonnement admiratif ce bon gros géant au regard enfantin encaisser les attaques physiques ou morales sans jamais se révolter contre ceux qui décident de sa vie sans le consulter. La force de Mercenaire est de décrire avec adresse et émotion la tension qui l’anime et dont il se servira pour enfin devenir lui-même. La présence écrasante et touchante du jeune Toki Polioko, comédien non professionnel comme la plupart de ceux qui l’entourent, au jeu sobre et authentique, donne toute sa beauté à cette course vers la liberté, tout en nous ouvrant la voie vers des contrées lointaines et méconnues. Un film d’aventures intimiste original et stimulant !