Le 7 mars 2024
Isabelle Brocard construit un personnage complexe, jamais binaire, en la personne de Marie de Sévigné qui rappelle, en arrière-plan, combien les grandes écrivaines ont contribué au combat en faveur de la liberté et de l’émancipation des femmes.


- Réalisateur : Isabelle Brocard
- Acteurs : Robin Renucci, Karin Viard, Alain Libolt, Noémie Lvovsky, Ana Girardot, Laurent Grévill, Cédric Kahn
- Genre : Drame, Biopic, Historique
- Nationalité : Français
- Distributeur : Ad Vitam, Orange Studio
- Durée : 1h32mn
- Date télé : 15 mai 2025 23:55
- Chaîne : Canal+
- Date de sortie : 28 février 2024

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Résumé : Milieu du XVIIe siècle. La marquise de Sévigné veut faire de sa fille une femme brillante et indépendante, à son image. Mais plus elle tente d’avoir une emprise sur le destin de la jeune femme, plus celle-ci se rebelle. Mère et fille expérimentent alors les tourments d’une relation fusionnelle et dévastatrice. De ce ravage va naître une œuvre majeure de la littérature française.
Critique : C’est une mère qui promet à sa fille qu’elle sera une demoiselle de compagnie de la reine de France, jusqu’à cette fête où, au lieu de séduire la femme du roi, la fille se retrouve pour le pire dans les culottes du souverain. Cette incartade sexuelle ne cessera plus de poursuivre le couple de Marie de Sévigné et sa fille, Françoise, que le mariage contraint avec un comte dépensier et grossier va définitivement bouleverser. Madame de Sévigné est un beau film d’époque dans des décors superbes, que rajoute à l’émerveillement le grand soin apporté aux costumes. C’est à Karin Viard d’endosser le rôle complexe de cette mère, autant géniale que manipulatrice et sombre. Les dialogues de toute beauté s’inspirent directement de la célèbre correspondance de celle qui sera une écrivaine, rappelant la transformation importante du langage à cette époque sortant définitivement du Moyen Âge et assume le classicisme qui fera le succès de dramaturges comme Molière, Racine ou Corneille. Le récit passe rapidement sur le contexte historique de l’époque, préférant centrer son regard sur le sentiment mêlé d’attachement et de défiance entre la mère et sa fille.
- Copyright Julien Panié
Qui aurait cru Karin Viard susceptible d’incarner avec autant de nuances le personnage de Madame de Sévigné. Pour une fois, la comédienne ne cède à aucune vulgarité ou excès de langage. Elle interprète une femme torturée par l’amour débordant qu’elle voue à sa fille, et capable de toutes les manipulations pour l’avoir auprès d’elle. Cela donne un portrait contrasté, complexe, où la manigance côtoie la sincérité des sentiments filiaux. Les dialogues, toujours très écrits, témoignent ainsi de la tragédie qui s’opère entre une fille, assez ambivalente avec le concept de liberté, et une mère avant-gardiste qui veut, à travers sa fille, perpétrer sa propre émancipation. Karin Viard et Ana Girardot se guettent, se surprennent, s’opposent, s’aiment, à la façon de deux tragédiennes mues par des sentiments contraires. Cette Sévigné est aussi monstrueuse que généreuse et formidablement intelligente. En ce sens, Isabelle Brocard ne prend aucun parti pris, si ce n’est celui des femmes qui doivent se libérer du joug masculin et de la brutalité des rapports sociaux. Le film est un écho face à l’actualité de la révélation de scandales concernant des actrices et acteurs ayant dû céder aux abus de toute part, pour exister dans leur métier. Mais l’action est située trois siècles auparavant, dans le feutre de la cour du roi et des châteaux princiers.
- Copyright Julien Panié
Madame de Sévigné trouve son accomplissement dans le choix de la réalisatrice de ne jamais céder aux sirènes de la facilité et du manichéisme. Au contraire, les sentiments sont multiples, antagonistes, dans une mise en scène épurée et convaincante. Il faut dire que les paysages sont aussi très beaux, ainsi que les intérieurs des palais où le luxe nourrit la conspiration politique et la manipulation du pouvoir. Le spectateur se dit que, peut-être aujourd’hui, dans les arcanes les plus hautes des gouvernements, les petites histoires sordides se mêlent à la grande Histoire des nations qui impacte tous les peuples sous sa domination. Le film n’est pas féministe à proprement parler. Il est assurément politique dans un contexte contemporain où plus que jamais, les femmes d’Iran ou d’ailleurs font valoir leur droit à la parole, à la liberté de pensée et d’action.
- Copyright Julien Panié
Madame de Sévigné constitue une petite perle dans le cinéma du début de l’année 2024. Il donne à regarder de formidables comédiens, engagés dans une fiction plus profonde qu’en apparence. La réalisatrice va à l’essentiel d’un drame où se jouent l’horreur du pouvoir, le drame des sentiments humains et la magnificence de l’amour.