Mad God - Phil Tippett - critique

Critique : Phil Tippet est un habitué des effets spéciaux au cinéma. Il se lance à son tour dans un long-métrage, Mad God, qui à lui tout seul raconte la talent immense de magicien de son réalisateur. Dans une esthétique digne de grandes œuvres picturales dans un musée, le film s’élance dans une fiction de fin de monde, où le créateur devient lui-même le destructeur de l’univers qu’il a conçu. Tippet ouvre son histoire folle avec une longue citation sortie de la Bible. Le spectateur est d’emblée glacé par ces mots cinglants et mystérieux, après qu’il a assisté à l’écroulement d’une tour qui pourrait être celle de Babel. Puis, la fiction accompagne pas à pas la lente pénétration d’un mystérieux aventurier masqué à l’intérieur du ventre d’une terre conçue de métaux, d’organes et d’animaux étranges.

Copyright Carlotta Films

Il faut renoncer à trouver une histoire linéaire dans Mad God. À la façon d’un film de David Lynch, la cohérence du récit se fait peu à peu, sans qu’on soit capable pour autant de raconter les évènements et les liens entre eux. Mine de rien, Phil Tippet décrit l’angoisse d’un monde, le nôtre, qui a failli à l’apocalypse nucléaire et tente de renaître de ses cendres à travers des créatures étranges, cruelles, qui fabriquent des zombies n’ayant d’autres vertus que de se soumettre à l’autorité terrifiante des machines.

Copyright Carlotta Films

Le distributeur Carlotta fait renaître de l’oubli nombre de grandes œuvres de cinéma, guettées par l’oubli pour certaines. Cette fois, il s’intéresse à une œuvre inédite, redoutablement ouverte vers un futur morne et glauque. Le récit emprunte des tonalités très diverses, jusqu’à une forme de spiritualité où nous sommes interrogés fondamentalement sur le désordre que nous générons et les ravages à venir d’une science sans limite. Le Dieu fou qui envoie des personnages masqués dans ces cloches à plongée est peut-être une vague métaphore de notre propre humanité. Mad God est un film tourmenté et agité où le gore côtoie le merveilleux. Les sons et les lumières contribuent à cette immersion baroque dans la gueule d’un monde déchu, signe d’une décadence qui guette l’univers contemporain.

Copyright Carlotta Films

Mad God est un film alambiqué et fascinant où le spectateur doit accepter de se perdre. Il peut ressortir avec le sentiment de n’avoir rien compris mais de s’être régalé d’images toutes plus belles les unes que les autres, ou encore d’avoir aperçu un bout de lui-même dans un monde au bord du gouffre.