Pour que la parole se libère, il faut parler entre égaux
Le 30 mars 2021
Ce documentaire nous montre la puissance libératrice de la parole face à la violence. Le courage et la résilience de Delphine remplissent l’écran. Un témoignage poignant, vrai et brutal.
- Réalisateur : Rosine Mbakam
- Nationalité : Belge, Camerounais
- Distributeur : Tândor Productions
- Durée : 1h30min
- Festival : Cinéma du réel, Festival international du film documentaire Cinéma du réel, 43e Cinéma du réel
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Résumé : Dans une chambre en Belgique, on se pose face à une femme camerounaise. Delphine nous raconte l’histoire d’une petite fille délaissée, qui n’a souvent pas de quoi manger ou s’habiller. Elle est sans cesse piégée et violentée par son entourage. Alors que la vie lui donne le pire, elle se bat pour une vie meilleure, et reste elle-même, authentique, propriétaire de son histoire.
Critique : « Trouve-toi une chaise, ou je ne serai pas à l’aise. (…) Si tu restes debout je ne serai pas naturelle », dit Delphine à la réalisatrice, Rosine Mbakam, toutes deux originaires du Cameroun et émigrées en Belgique. Cette phrase nous suggère, dès le début, que ce documentaire n’est pas le portrait qui sépare le sujet, observé de haut, et un réalisateur lointain qui a le pouvoir, mais une fenêtre d’intimité entre deux amies, deux égales, pour que la parole se libère. « C’est ça le cinéma que j’ai envie de faire et raconter : celui où je me mets en égalité avec les personnes filmées », commente la réalisatrice en interview lors du festival du Cinéma du réel (où le Prix des Jeunes lui a été décerné, il y a quelques jours).
Le défi s’énonce en ces termes : « est-ce qu’on enferme le personnage dans le regard du réalisateur ou est-ce qu’on laisse plutôt notre personnage se dévoiler dans toute son amplitude ? ».
Ce rapport nécessaire déconstruit exactement ce qui a fracturé et violenté Delphine au long de sa vie : des personnes, soi-disant « supérieures », n’ont cessé de prendre possession de son corps, son identité et sa personne. Toute son existence, la jeune femme a vécu des horreurs et cette fois-ci elle cherche à se libérer de ses souffrances, en les dénonçant et en partageant quelque chose que personne n’a jamais pu lui prendre : son histoire.
Un univers dans une chambre
Pendant son récit de vie, on reste dans une chambre froide et encombrée en Belgique. Alors qu’on ne quitte ni cette pièce, ni le visage de la locutrice, celle-ci réveille avec force notre imaginaire par ses mots. Il n’y a pas d’ornements superflus : c’est sa sensibilité, son authenticité et sa parole, vraie et brutale, qui nous hypnotisent. Ce sont des souvenirs qui font voir et sentir la pauvreté, la négligence parentale, la manque d’amour, le deuil, la douleur de subir des accusations injustes, la violence physique et psychologique. Delphine n’a pas seulement le courage d’ouvrir ces plaies, mais aussi la perspicacité et la résilience de les interroger et de prendre du recul.
Avec de simples zooms, jouant sur l’éloignement ou le rapprochement, Rosine Mbakam choisit la dynamique nécessaire pour accorder le cadre à l’émotion du moment, à la parole qui s’exprime, sans déconcentrer le sujet, sans lui prendre de la place. Ainsi, elle reste discrète, mais efficace.
La déconstruction de la domination
Le documentaire privilégie une dénonciation des violences perpétuelles d’un monde postcolonial. Il offre aussi un nouveau récit décolonial qui s’affranchit. On en est témoins, par exemple, lorsque la réalisatrice fait une « balance de blancs » (manipulation de la caméra pour régler les couleurs), action à laquelle Delphine répond en taquinant : « Ou balance de noirs ? À toi de voir ! Quelle souffrance pour la balance de blancs ! » Avec le récit de vie de Delphine, on voit également le piège du marché de la prostitution européenne pour des femmes africaines. La Camerounaise se marie avec un Européen qui a trois fois son âge. Auparavant, elle avait attendu quatre ans un autre homme qui n’est jamais revenu, après l’avoir demandé en mariage.
Delphine dénonce l’arrogance de ceux qui s’estiment « sauveurs » : « Certains se veulent sauveurs, ils disent qu’ils veulent aider, mais au lieu de soulager, ils t’enfoncent ».
Elle regrette également qu’on lui demande de remplacer sa propre identité pour en intégrer une autre, « en un claquement des doigts ». Il faudrait un échange dans lequel les deux cultures peuvent dialoguer. « On ne peut pas effacer des années d’histoire personnelle », proteste-t-elle.
Les prières de Delphine opère exactement le contraire d’un effacement : il permet de donner un écho à son itinéraire. L’histoire de sa vie est finalement le patrimoine sacré de Delphine.
Comment filmer « le réel » ?
La réalisatrice confesse que le documentaire a été aussi pour elle un moyen de faire tomber ses préjugés et de regarder l’altérité en face. A cette aune, Les prières de Delphine est autant un film des schémas et préjugés de Rosine Mbakam qu’une libération de la parole de Delphine. Ce recul donne la place nécessaire à son interlocutrice : « Je suis pour être surprise par la réalité et me laisser parfois embarquer par elle ; parce qu’elle est plus forte que ce que l’on pourrait préparer, pré-écrire ou pré-penser », précise la réalisatrice qui ajoute : « Je ne prends pas Delphine pour en faire un personnage de cinéma, je cherche le cinéma qu’il y a dans sa vie ».
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