Le 20 janvier 2024
Un western malin, au scénario ouvert, et porté par l’impeccable James Stewart.
- Réalisateur : Andrew V. McLaglen
- Acteurs : James Stewart, George Kennedy, Katharine Ross, Paul Fix, James Best, Harry Carey Jr., Patrick Wayne, Rosemary Forsyth, Tim McIntire, Doug McClure, Glenn Corbett
- Genre : Drame, Western
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : ESC Éditions
- Durée : 1h45mn
- Titre original : Shenandoah
- Date de sortie : 3 juin 1965
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Charlie Anderson, fermier de son état à Shenandoah, en Virginie, se retrouve impliqué dans la guerre civile. Il refuse de soutenir les Confédérés, car il s’oppose fermement à l’esclavage, mais ne soutient pas non plus l’Union car il est profondément contre la guerre. Lorsque son fils est fait prisonnier, Charlie part immédiatement à sa recherche. Il va rapidement être confronté aux horreurs de la guerre et va devoir choisir son camp.
Critique : Les prairies de l’honneur, septième film de McLaglen, est très nettement divisé en deux parties d’à peu près égale durée, séparée par une réplique nette d’Anderson (James Stewart) : « Maintenant, ça nous concerne ». Le « ça », c’est la guerre de Sécession, qui fait rage autour de la ferme familiale qu’il dirige, et envers laquelle il faisait preuve de neutralité. Le début est consacré à l’évocation d’une vie paisible, tout entière consacrée aux travaux des champs, dont le scénario fait ressentir la répétition (jeu avec le pasteur, arrivée en retard à l’église, enfants debout avant que le père ne s’assoie…). Le patriarche veuf veille autoritairement sur ses nombreux enfants, et Stewart prend un visible plaisir à incarner ce ronchon au grand cœur, mâchonnant un éternel cigare, respecté et serein. Pourtant, les dialogues prennent soin de le présenter comme plutôt rigide, avec des sentences figées (« un homme qui mange avec son chapeau n’ira jamais loin », « je ne m’adresse jamais à un homme qui me prend de haut »). Autrement dit, cette vision idyllique – on n’est pas loin de la chronique champêtre - porte en elle sa fossilisation : tout le pari d’Anderson est de conserver son Éden, malgré la guerre et les pressions. On sent parfois l’agacement d’un fils, mais le monde enfermé, délimité par des clôtures, semble résister miraculeusement à l’approche de la guerre. La marche du temps est simplement indiquée par la demande en mariage par Sam, soldat confédéré, de Jennie, la fille d’Anderson. C’est d’ailleurs là une des faiblesses du film, tant les poncifs s’entassent, entre discussion sur les femmes et maladresses du soupirant.
Pourtant, le ver est dans le fruit, annoncé par deux visites, l’une pour demander des fils pour le combat, l’autre des chevaux, ce qui vaut une bagarre fordienne : si les deux tentatives échouent, c’est une broutille, le fait d’avoir ramassé une casquette de soldat, qui vaut à Boy, le plus jeune fils, d’être capturé et emmené. À partir de ce moment, Anderson est « concerné ». S’ensuit la seconde partie, plus noire, et dans les thèmes, et dans les teintes, et dans les décors : en cherchant son fils, donc en quittant l’Éden, il va découvrir le monde sauvage et brutal, la pluie, la boue ; en effet la première partie se déroule sous un soleil chaleureux et égal. Mais la chute dans la violence ne peut être qu’âpre : plus de bagarre joyeuse, mais des batailles sanglantes ; plus de maison confortable, mais des ruines ou des bâtisses abandonnées. Ici, le scénario de James Lee Barrett excelle à dépeindre le crescendo de la violence, aussi bien que l’absurdité de la guerre : c’est le voisin de Boy qui est tué, par hasard, et un autre fils est victime d’un soldat trop jeune et mal réveillé. À quoi tient une vie ? À quelques centimètres, à la fatigue, à presque rien. Ironiquement, plus tôt dans le film, Anderson avait demandé : « Que fait-on des soldats morts ? ».
En partant, le père avait laissé son fils et sa belle-fille nouvellement parents ; pendant son absence, des brigands les tuent, alors que Boy rentrera tout seul : le voyage n’a donc servi à rien, sauf à déclencher des catastrophes. Néanmoins, le « message » reste flou : faut-il s’engager, ou essayer de préserver ses acquis ? Qu’est-ce qui mérite qu’on se batte ? Peut-on échapper à l’ensauvagement ? En pensant que le film est contemporain de la guerre du Vietnam, on peut se demander comment le public de l’époque a compris cette histoire ambiguë. D’autant que les références au retour des corps devaient résonner étrangement.
Si le scénario est parfois excellent, avec quelques séquences très réussies (la vache entre les combattants, les retrouvailles émouvantes de Sam et Jennie), il n’est pas exempt de défauts : entre les clichés, les coïncidences (Gabriel, le jeune Noir qu’on avait perdu de vue, est celui qui menace Boy avant de le sauver) et les naïvetés (voir la séquence sur la liberté de Gabriel) ; et malgré une construction solide, on est loin du parfait. Et pourtant, l’impression favorable l’emporte : ni mièvre ni racoleuse, l’intrigue tient debout et passionne sans mal. Hélas, la réalisation de McLaglen est rarement inspirée : s’il réussit le meurtre des parents, avec une belle économie de moyens, (mais la belle idée du sabre qui cogne sur les marches était-elle écrite ?), il reste souvent platement illustratif. Quant aux nuits américaines et aux toiles peintes, elles devaient déjà sentir la naphtaline en 1965… Aussi a-t-il beau imiter Ford (l’adresse à la femme morte, la bagarre joyeuse, entre autres), il est loin d’égaler son maître.
Reste que, comme le dit Mathieu Macheret dans les bonus, ce western étrange a quelque chose d’anachronique si l’on pense que la même année sortait Major Dundee, de Peckinpah, et peut-être faut-il voir dans le découpage en deux parties le symbole de l’évolution du genre : au western de papa (l’idylle fermière) est en train de succéder un autre, plus violent, plus réaliste ; James Stewart serait alors une survivance dont l’autorité est sapée par le temps qui passe, prêt à passer le flambeau à des plus jeunes et moins respectueux. Ainsi, Les prairies de l’honneur, sans être un chef-d’œuvre méconnu, a-t-il suffisamment d’attraits pour donner lieu à différentes interprétations (voir les suppléments), et mériter mieux qu’un regard distrait. Surtout si l’on ajoute que James Stewart est impeccable, comme d’habitude.
Les suppléments :
Dans Une ombre sur le western (28mn), Mathieu Macheret se livre à une analyse critique très fine du film, séparant deux parties inégales, la seconde étant plus complexe et riche. Il donne également des précisions intéressantes sur le réalisateur et l’acteur principal. Une vraie vision, en tout cas, qui séduit même si ça et là on peut trouver des points de désaccord, mais c’est l’intérêt justement de ce bonus. Face à ce brillant entretien, les deux modules (la restauration, simple comparatif avant / après -3mn30-, et une image de deux jaquettes de la collection) sont bien anecdotiques.
L’image :
On pourrait presque compter les feuilles des arbres et les tuiles des toits, ou comparer les grains de peau. La restauration est une merveille de finesse. Tout au plus peut-on remarquer quelques plans aux couleurs moins vives. Mais pas de parasites à l’horizon, et un confort optimal.
Le son :
Le son est débarrassé de toute scorie ; bien sûr on est loin des canons actuels, mais la musique sonne bien, et les dialogues sont restitués avec nuances. Comme souvent, la VO est largement préférable, le doublage vieillissant moins bien.
– Sortie DVD et Blu-ray : 19 août 2017
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.