Le 19 novembre 2020
Un beau film secret et poétique, qui demande un effort pour être goûté dans sa lenteur et sa délicatesse.
- Réalisateur : Yves Yersin
- Acteurs : Michel Robin, Fred Personne, Roland Amstutz
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Suisse
- Distributeur : Les Films 2001
- Durée : 2h20mn
- Reprise: 10 décembre 2014
- Date de sortie : 12 septembre 1979
- Festival : Festival de Cannes 1979
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Résumé : Pipe, valet de ferme depuis 40 ans, est maintenant près de sa retraite. Il décide d’acquérir un vélomoteur, et découvre alors la liberté. Après que la police le lui confisque, Pipe poursuit sa quête de liberté grâce à un appareil photo.
Critique : Il faut pour apprécier Les petites fugues accepter de prendre son temps et mettre de côté nos habitudes d’un cinéma contemporain trépidant. Car le film de Yersin ne se donne pas facilement, on pourrait même dire qu’il se mérite ; ce n’est pas une œuvre aimable, à l’image de son « héros », Pipe, vieux bougon quasi misanthrope. Il faudrait chercher des références dans des films anthropologiques, que ce soit Biquefarre de Georges Rouquier, ou L’ Arbre aux sabots d’Olmi, tant le quotidien de cette petite exploitation agricole est décrit dans sa monotonie et sa lenteur. C’est en effet peu dire qu’il ne se passe pas grand chose : le titre le dit bien, ce ne seront que des petites fugues, qui ne mènent pas loin et se terminent en boucle, comme elles ont commencé, sur un tas de fumier. À l’égal des films précités, le regard du réalisateur est celui, patient, d’un observateur neutre qui se refuse à porter un jugement : comme chez Renoir, chacun a ses raisons. Certes, le « patron » semble insupportable, mais Yersin lui offre une dernière séquence, dans laquelle, au bout d’un trajet absurde en tracteur, il rend les armes, laissant la ferme à son fils et libérant sa fille ainsi que Pipe. C’est la fin du patriarcat que tout le film s’acharne à miner par les révoltes sourdes des personnages. Celui de la mère, si délicatement scruté, frappe par sa douceur retenue, sa simplicité conciliante. C’est sans doute sa maladie, dont on ne saura rien, qui convainc le père de renoncer.
Même si le film se focalise sur Pipe, magnifiquement interprété par Michel Robin, les autres ne sont pas sacrifiés : la révolte de la fille, qui s’ennuie à la ferme ou travail, l’employé italien qui cherche sa place dans cette famille, tous ont au moins une scène qui permet de saisir leur mal-être. Yersin a l’intelligence de ne jamais sombrer dans la caricature. À cet égard la belle séquence du repas de fête dit tout de la tendresse entre les personnages, qui peine à s’exprimer mais perce dans les regards et les petites attentions.
Grossièrement, si l’on s’en tient à Pipe, le film se divise en trois parties : le quotidien laborieux, terne et répétitif, l’échappée en « vélo » et la découverte de la photographie. Deux apprentissages se succèdent, qui peuvent faire croire à une évasion ; mais le retour entre les gendarmes sonne le glas de sa brève période de liberté. Quant au tour en hélicoptère, qui fait pendant à une envolée de la caméra au-dessus des champs et à la vision d’un planeur, Pipe y met un terme avant l’heure, conscient de son inanité. Reste donc la photographie, seule vraie évasion, qui va lui permettre de saisir le quotidien et, d’une certaine manière, de s’en détacher. Au fond la fuite est illusoire et inadaptée ; c’est par le regard, artistique si l’on veut, que Pipe transforme sa vie. Mais la fin, qui le laisse seul sur son fumier, dit assez l’enfermement et la solitude de ce vieil homme. Cet enfermement, cette solitude, Yersin ne cesse de les figurer par des plans bouchés : partout des murs, des rideaux d’arbres, un espace intérieur étriqué. De même les repas, en plans-séquences, qui réunissent les personnages mutiques autour de la table. On admire cette vision simple, peu découpée, ces scènes trop étirées qui laissent le champ vide. La caméra, souvent à distance, renvoie à une conception pudique et respectueuse du cinéma ; l’observation patiente permet de saisir des petits riens, gestes, regards, mimiques esquissées. Les gros plans, tel celui de la main de Pipe caressant la selle, n’en ont que plus de valeur.
Répétons-le, Les petites fugues demande un effort : il faut accepter de se perdre dans une infinité de détails à la lettre insignifiants ; mais c’est un film profondément humaniste, attaché aux « petites gens », sans pathos, sans grand discours, presque sans musique. De ce dépouillement peut naître l’ennui ou une émotion contenue, subtile.
- © Étienne Delessert
– Grand Prix d’Interprétation pour Michel Robin - Locarno 1979
– Prix Œcuménique - Locarno 1979
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