La sobriété d’un combat pour l’avortement
Le 30 janvier 2024
Un film d’une grande sobriété dans sa forme, à la frontière de la fiction et du documentaire, qui transporte le spectateur dans les tourments d’un combat intime, pour la liberté de choix.


- Réalisateur : Amr Gamal
- Acteurs : Khaled Hamdan, Abeer Mohammed, Samah Alamrani
- Genre : Drame, Drame social
- Nationalité : Saoudien, Soudanais, Yéménite
- Distributeur : Paname Distribution
- Durée : 1h31mn
- Titre original : The Burdened
- Date de sortie : 31 janvier 2024
- Festival : Festival de Berlin 2023

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Résumé : Isra’a vit avec son mari Ahmed et ses trois enfants dans le vieux port de la ville d’Aden, au sud du Yémen. Leur vie quotidienne est rythmée par les effets de la guerre civile : contrôles militaires dans les rues, pannes de courant fréquentes, et rationnement de l’eau. Ahmed, qui travaillait pour la télévision, a dû quitter son poste à la suite de nombreux salaires impayés, pour devenir chauffeur. Ils ont à peine de quoi offrir à leurs enfants une vie normale et une bonne éducation. Quand Isra’a apprend qu’elle est à nouveau enceinte, le couple doit faire face à une nouvelle crise...
News : Aden, Yémen, octobre 2019. Un couple (Isra’a et Ahmed) est en plein déménagement, pour aller vivre dans une maison délabrée, avec leurs trois enfants. L’année scolaire va reprendre incessamment sous peu, entraînant avec elle des difficultés financières : il faut payer la rentrée du petit dernier. Apprenant qu’elle est enceinte, et incapable de subvenir aux besoins de ce nouveau venu, Isra’a décide d’avorter. Un chemin de croix, alternant rendez-vous à l’hôpital, sollicitations amicales auprès de connaissances travaillant dans le domaine de la santé, crise de couple, et confrontation entre religion musulmane et savoir scientifique, se dessine sur fond de guerre civile, reflet de la tension interne des protagonistes.
- © Adenium Productions / Paname Distribution. Tous droits réservés.
Un sentiment d’oppression enserre immédiatement le spectateur, au sein de ces plans paradoxalement larges qui saisissent le quotidien d’Isra’a et Ahmed, avec une précision chirurgicale, flirtant avec le documentaire. Le cadre (qui s’empare de chaque micro-mouvement, tout en restant à une distance éthiquement juste de ses personnages) atteste d’une volonté de témoignage. Ce qui se dessine sous nos yeux relève à la fois d’un portrait de la ville d’Aden, d’un contexte chaotique souligné par la présence des forces armées, d’une tension souterraine permanente (il y a toutes ces coupures de courant, le prix exorbitant des fruits et légumes, les grèves), et d’une lutte comme une révolte muette, en proie au danger : celle d’une femme qui se bat pour la liberté de son corps, pour le choix, et se cogne sur le poids de la religion, pour qui le fait de tomber enceinte est un don du ciel, et l’avortement un péché.
- © Adenium Productions / Paname Distribution. Tous droits réservés.
Il y a dès lors une gradation dans la tension dramatique, sous le joug de la pression idéologique : Isra’a regarde des vidéos sur Internet, expliquant qu’un embryon ne possède pas d’âme avant le cent vingtième jour, et qu’il est donc possible d’agir au sein de ce laps de temps – vidéo dont les propos se retrouvent contredits par la figure de la femme médecin (Muna) et amie d’Isra’a, qu’elle consulte comme solution de dernier recours afin de lui demander de l’opérer. Chose que la praticienne, très croyante, portant le voile intégral en présence d’hommes, refuse. Se met en place, au sein de ce même personnage, une opposition entre deux formes de croyances : croyance religieuse, et croyance en la médecine.
Les lueurs d’Aden est donc un film puissant, intense, subtil dans sa mise en scène, suscitant un questionnement philosophique et actuel sur le croire, et le poids d’une décision féministe, dans un pays encore en proie à une autorité religieuse intériorisée, contre laquelle il reste difficile de s’opposer.