Nuits blanches à Singapour
Le 8 mars 2019
Un polar alambiqué aux allures d’un Mullholland Drive asiatique, qui surprend.
- Réalisateur : Siew Hua Yeo
- Acteurs : Xiaoyi Liu, Peter Yu, Jack Tan , Yue Guo, Ishtiaque Zico
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Drame social
- Nationalité : Français, Néerlandais, Singapourien
- Distributeur : Épicentre Films
- Durée : 1h35mn
- Titre original : Huan tu, ou A Land Imagined (à l'international)
- Date de sortie : 6 mars 2019
- Festival : Festival de Locarno 2018
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Léopard d’or 2018 au Festival international du film de Locarno
Résumé : Singapour gagne chaque année plusieurs mètres sur l’océan en important des tonnes de sable des pays voisins – ainsi que de la main-d’œuvre bon marché. Dans un chantier d’aménagement du littoral, l’inspecteur de police Lok enquête sur la disparition d’un ouvrier chinois, Wang, jusqu’alors chargé de transporter des ouvriers. Après des jours de recherches, toutes les pistes amènent Lok dans un mystérieux cybercafé nocturne.
Notre avis : Un ouvrier expatrié n’est plus venu à son poste depuis deux jours. Le caractère anecdotique de ce point de départ semble bien trop manquer d’enjeux pour promettre une intrigue policière passionnante. C’est donc, dès les premières minutes, dans le microcosme des chantiers singapouriens que naît l’intérêt du premier film de Yeo Siew Hua. Mais là où celui-ci nous surprend c’est assurément dans la construction de son récit qui nous amène à découvrir, via un long flashback, le passé de cet ouvrier recherché. Il s’agit déjà là d’un beau pied-de-nez à la structure classique du polar dite du Whodunit. Mais surtout, commencer le film en nous apprenant que celui qui va s’avérer en être le personnage principal est amené à disparaître pose sur lui une épée de Damoclès qui laisse suspendu un arrière-goût fataliste, même lors des moments les plus légers. Au-delà de cette explosion de la linéarité des faits, le scénario nous emmène sur un terrain bien plus délicat, et ce par la seule manière d’introduire ce fameux flashback : l’inspecteur Lok dit avoir fait un rêve alors que débute, en second plan, ce qui est sensé s’être déroulé plusieurs jours plus tôt.
- Copyright Epicentre Films - 2019
Difficile alors pour le spectateur de savoir où il est. Est-on dans la réalité ouverte de façon inappropriée ou bien est-on dans l’imagination du policier ? Et quand bien même il s’agirait de son imaginaire, quelle en serait la part de fantasme et de réflexion professionnelle ? Ce doute ne cesse de hanter l’arc narratif de Wang, pourtant globalement filmé à la façon d’un drame social, dans ce qu’il peut avoir de plus terre-à-terre. Quelques passages, essentiellement les légères envolées érotiques (qui d’ailleurs peuvent s’avérer d’ordre aussi bien hétéro, avec l’énigmatique gérante du cybercafé qu’homosexuel avec le collègue bangladeshi) mais surtout les scènes de danse dont la mise en scène élève le récit sur un plan spirituel, et qui viennent régulièrement nous ramener à cette barrière entre le concret et le chimérique. Mais cette frontière entre le vrai et le faux est également ancrée dans le contexte lui-même, à savoir dans l’artificialité inhérente à ce village de pêcheurs transformé, en quelques années, en capitale économique et plus encore dans la relation entre les chefs de chantier et leurs salariés, faite de magouilles qui s’apparentent à une forme d’esclavage.
- Copyright Epicentre Films - 2019
Là d’où vient l’incertitude entre ce qui est réel ou non, c’est, de la même manière, dans l’addiction aux jeux vidéo qui peu à peu devient centrale dans le quotidien de Wang, mais aussi et surtout dans le point commun qu’il partage avec Lok, à savoir leurs insomnies. Que leur manque de sommeil puisse les mener à des hallucinations n’est pas sans rappeler Fight Club et sa représentation de la schizophrénie par la présence à l’écran de deux personnages qui n’en font qu’un. Ce doute autour de ce que l’on peut voir devient plus inextricable encore quand Wang, à son tour, laisse à penser que c’est l’enquête que l’on a pu voir en ouverture qui a pu être son rêve. Dès lors, retrouver Lok et ce que l’on croyait être les codes convenus du film policier ne nous apporte la clef dans la superposition des réalités. Plus le film avance, et plus l’onirisme va prendre le dessus sur l’investigation elle-même, et ce avec une radicalité qui peut même s’avérer particulièrement dérangeante. Les liens entre les arcs des deux personnages, dont on ne sait plus lequel est plus vrai que l’autre, atteignent même par moment un niveau métaphysique assez fascinant, surtout si l’on garde en tête que le jeune réalisateur est avant tout un ancien étudiant en philosophie. On attend de voir si la suite de sa filmographie poursuit cette piste très prometteuse.
© 2019 Epicentre Films. Tous droits réservés.
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