Le 31 octobre 2017
Déroutant et rigoureux, Les espions se sert des codes d’un genre pour bâtir un monde paranoïaque d’apparences et de menaces.
- Réalisateur : Henri-Georges Clouzot
- Acteurs : Peter Ustinov, Curd Jürgens, Sam Jaffe, O.E. Hasse, Paul Carpenter
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Noir et blanc
- Nationalité : Français, Italien
- Editeur vidéo : TF1 Vidéo
- Durée : 2h05mn
- Reprise: 8 novembre 2017
- Box-office : 1.754.263 entrées
- Date de sortie : 11 octobre 1957
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– Ce film est compris dans le beau coffret DVD : Clouzot l’essentiel, qui paraît le 24 octobre 2017.
Résumé : Le docteur Malik, en proie à quelques problèmes avec l’alcool, dirige une petite clinique psychiatrique. Quand un militaire américain, le colonel Howard, lui propose d’héberger un homme mystérieux monnayant une forte somme, le docteur accepte sans rechigner. Cependant, au lieu d’un pensionnaire en plus, il s’aperçoit que sa clinique devient le repaire d’un groupe d’espions qui prend la place de son personnel habituel.
Notre avis : Après l’échec du Mystère Picasso, Clouzot revenait à sa noirceur et aux espaces clos avec ce curieux film, souvent qualifié de kafkaïen, tant l’intrigue est complexe et semble tourner en rond : la métaphore des « portes qui ouvrent sur d’autres portes » paraît d’ailleurs valider pareil rapprochement et mener à un univers absurde cher à l’auteur du Procès. Il y a sans doute de cela : le « héros », un psychiatre porté sur la bouteille, responsable d’un hôpital en mauvais état, accepte d’héberger un homme et devient le jouet d’espions multiples et rivaux. Passif, manipulé, menacé, fautif quand il faut agir, il ne cesse de buter sur des énigmes absconses, tel K. confronté à l’administration judiciaire. Mais Clouzot en profite pour soigner dans les moindres détails la description d’une maison au plancher défoncé, et surtout, pour densifier son intrigue par une succession de signes matériels (une voiture, un téléphone, un ocarina) et de personnages intrigants ; l’hôpital devient le lieu du voyeurisme, dans lequel il est impossible d’être seul, ce que prouvent abondamment aussi bien les judas que le surgissement d’hommes dans le champ. Les menaces et les dialogues à sous-entendus s’y multiplient, créant une atmosphère lourde que la prolifération de grilles et d’embrasures accroît encore. À ce réseau de lignes correspond l’idée d’un carcan, d’une prison cernée de toutes parts (hommage à Rio Bravo ?) quand le moindre passant est suspect.
Si l’histoire est passionnante, pas aussi obscure qu’on l’a dit, elle joue surtout sur les apparences et les leurres : le personnage de Curd Jürgens n’est pas un scientifique, comme l’infirmière ou le garçon de café ne sont que des rôles. Pas de réalité, mais un ensemble de masques tristes, qui eux-mêmes ne savent pas pour qui ou pour quoi ils travaillent. Ils passent d’ailleurs leur temps à attendre, loin des images d’espions en danger, se connaissent tous et s’avèrent relativement inefficaces. Certes, il y a des morts, mais à une exception près, et c’est un suicide, toujours hors-champ, comme si là encore tout n’était que manipulation. Au fond, ce que décrit Clouzot, c’est un monde privé de sens, dans lequel des hommes font ce qu’ils doivent jusqu’au bout, sans idéal ni patriotisme. En quelque sorte des fonctionnaires (où l’on retrouve Kafka) besogneux qui ne voient pas au-delà du bout de leur nez. Des damnés peut-être, prisonniers de leur condition.
Clouzot sait installer l’atmosphère adéquate, il maîtrise le jeu des signes ouverts et perd son spectateur avec art. Il fait même preuve d’un humour discret, quand le docteur est contraint de se comporter en écolier, ou quand on le prend pour un fou, lui le psychiatre. C’est donc un délice de se noyer dans cette confusion, d’y chercher des repères. D’autant que les acteurs, jusqu’aux nombreux seconds rôles, sont parfaits : Pierre Larquey en chauffeur de taxi ambigu, Gabrielle Dorziat en infirmière, et les espions, de Peter Ustinov à Fernand Sardou, assurent le spectacle en toute sobriété. On pourra même reconnaître Jacques Dufilho et apercevoir un enfant, le futur Patrick Dewaere. Quant à Gérard Séty, qui interprète le médecin, il joue l’ahuri avec conviction et se sort bien d’un rôle ingrat. Si l’on peut regretter une fin un peu lourde, notamment avec la séquence du train, le film demeure une œuvre méconnue qui vaut largement d’être vue, tant elle est cohérente par rapport à la carrière de Clouzot. Sans se répéter, il parvient à approfondir des thèmes qui lui sont chers dans une esthétique impeccable. Bref, un petit bijou captivant.
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