Le 8 avril 2003
Une vie d’errance à la recherche des années englouties.
New-York, de nos jours. Une journée de la vie d’un homme hanté par des esprits, des fulgurances. Appelé au chevet d’une vieille Hongroise mutique qu’il croit reconnaître, Gamliel se souvient.
Juif hongrois émigré aux Etats-Unis, écrivain "fantôme", nègre lumineux, amoureux fou des mots - et des femmes -, Gamliel est un personnage désenchanté arrivé au crépuscule de sa vie, sans avoir fait souche. En 1956, il perd la trace d’Ilonka, celle qui est devenue sa seconde mère, à qui il doit d’avoir survécu à ces temps de sombre mémoire.
Derrière le visage ravagé de la mourante, Gamliel part en roue libre à la recherche de ses années englouties... Au cours de ce huis clos temporel, tout se rejoue. L’enfance hongroise, infiniment douce et belle. Une mère ciselant de jolies histoires, un père brave et noble. Puis le temps des fascistes, qui n’aimaient pas les jolies histoires racontées par les mamans juives. Ses parents devenus cendre et poussière, Gamliel fut confié à Ilonka, la chrétienne, chanteuse de cabaret et marchande de plaisir, qui le protégea, jusqu’à leur séparation en Autriche, en 1956.
Depuis, Gamliel a mené une vie d’errant magnifique et lucide, définitivement lucide. Il a prêté sa plume et son talent à des écrivains ratés, qui le payèrent, cher, et devinrent célèbres à sa place. Ses seuls amis sont depuis toujours en partance, comme lui... Il y a Bolek, survivant d’un ghetto, Diego, héros de la guerre d’Espagne, Gad, agent secret travaillant pour le Mossad, et Iasha, rescapé des purges staliniennes. Ensemble, ils refont le monde, à la façon de tous les déracinés, érigeant des remparts de souvenirs pour tenter d’étayer leurs vies en miettes.
Ainsi se déroule la vie de Gamliel le désenchanté. Semant les mots comme des bouteilles à la mer (à la mère ?), cherchant à travers les femmes aimées et aussitôt envolées à retrouver l’Ilonka de son enfance hongroise, jusqu’à son dernier souffle.
Gamliel porte en lui toute la nostalgie, la lucidité et la désespérance des héros des précédents romans d’Elie Wiesel. Le temps des déracinés prend fin alors que l’aube fait son apparition sur New York. "Dehors, le septième jour de la Création pointa, glorieux dans sa lumière de cuivre, prêt à engloutir la terre entière avec ses pauvres histoires d’amour et de remords".
Elie Wiesel, Le temps des déracinés, Seuil, 2003, 297 pages, 20 €
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