Le 25 novembre 2020
Expérience cathartique et puissante, Last and First Men nous envoûte par ses plans et sa musique, aussi sublimes que sinistres, et nous invite à réfléchir sur l’héritage et la futilité humaine dans l’immensité de l’univers.
- Réalisateur : Jóhann Jóhannsson
- Acteur : Tilda Swinton
- Genre : Science-fiction, Fantastique, Noir et blanc
- Nationalité : Islandais
- Distributeur : Zik Zak Filmworks
- Durée : 1h10min
- Auteur : Olaf Stapledon
- Date de sortie : 21 septembre 2020
- Festival : Festival de Berlin 2020, L’Étrange Festival 2020
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Résumé : Dans deux milliards d’années, la vie humaine se trouvera au bord de sa disparition. Une voix à la fois angélique et intimidante (Tilda Swinton), s’adresse aux spectateurs dans le présent, le XXIe siècle, et les implique dans l’histoire de l’extinction humaine. La narratrice nous amène à voyager dans le futur ultime et nous fait réfléchir sur ce qui a amené, d’abord à la dévastation de la Terre, et ensuite à l’anéantissement de la race humaine qui a migré vers d’autres planètes. Bien que l’aspect sonore de ce documentaire fantastique évoque le futur, les images en noir et blanc, tournées en 16mm, nous font visiter les vestiges de l’architecture brutaliste soviétique. Passé, présent et futur coexistent dès lors dans ce film d’essai, adapté du romain éponyme de science-fiction de l’auteur et philosophe Olaf Stapledon, publié en 1930.
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Critique : Éthérée et épiphanique, la musique de Last and First Men relie la voix narratrice et les images. Par des basculements entre la désolation et l’extase, la bande sonore réussit à nous transporter entre le surnaturel et l’humain, entre la tragédie de l’extinction humaine et le sublime de l’existence de la civilisation humaine. La musique s’avère en parfaite adéquation avec ce récit et ce n’est pas une coïncidence : le réalisateur, Jóhann Jóhannsson, est également le co-compositeur de la bande sonore en collaboration avec Yair Elazar Glotman. En effet, Jóhannsson était en réalité connu en tant que musicien et compositeur de musiques de films (notamment pour Sicario et Premier contact de Denis Villeneuve ou Une merveilleuse histoire du temps).
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Les Spomeninci ou monuments brutalistes : entre la matière et le transcendent
Les images de ce long métrage ne sont en rien moins ensorcelantes que sa musique. Ce documentaire pourrait être tout aussi bien décrit comme un poème en prose où la bichromie noire et blanche et la texture de la pellicule en 16mm mettent en avant le caractère majestueux et post-humain des monuments soviétiques. Ces vestiges, appelés également « Spomenici » (« monuments » en serbe latin, ou « monuments culturels d’importance exceptionnelle ») de l’architecture brutaliste ont leur origine dans le régime communiste de Josip Tito en Yougoslavie. Le caractère esthétique du brutalisme et la force de présence de ces monuments colossaux est donc d’autant plus sombre et mélancolique.
"Le film explore des zones délabrées et des ruines où de grandes tragédies ont eu lieu — ce sont des sites chargés de symbolisme. L’on ressent une présence spectrale, une entité qui cherche à communiquer avec nous"
, commente le réalisateur Jóhann Jóhannsson. Les monuments, isolés au milieu de la nature, évoquent la solitude de l’homme qui disparaît dans la temporalité infinie de l’univers. Autrement dit, la matière caduque de ces vestiges exprime le transcendant et l’infini : le passage de l’humanité dans l’histoire de l’univers.
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Le mouvement de la caméra : le temps suspendu ou en accélération ?
Bien que First and Last Men soit une séquence d’images des monuments brutalistes, il ne s’agit pas d’un simple diaporama photographique. Jóhannsson déploie toute la potentialité de médium du cinéma, car il parvient à faire des mouvements de caméra un outil d’expression. Ces derniers offrent plus qu’une variété de perspectives des Spomenici : ils nous font ressentir le temps et nous immergent lentement dans une autre dimension. La magie qui naît des trajectoires très lentes nous fait perdre la notion du temps (et pourra nous rappeler celles du maître Tarkovski).
Par opposition à cette suspension du temps tarkovskienne, nous pourrions aussi penser à l’accélération qu’on éprouve à la fin de 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Bien que dans des styles esthétiques diamétralement différents — cette accélération du voyage dans le temps proposée par Kubrick est colorée, hallucinogène et rapide, et celle Jóhannsson en noir et blanc, s’avère mélancolique et lente — Last and First Men opère aussi avec son rythme, paradoxalement, une progression rapide vers le futur ultime, à deux milliards d’années.
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Les messages entre nous et l’au-delà
Comme dit précemment, Last and First Men a une récurrence constante entre la fin et le début, le passé et le futur. La première phrase de la narratrice est : « Écoutez attentivement : nous, les derniers hommes, désirons sincèrement communiquer avec vous. » Elle explique que le point tournant dans l’histoire de l’humanité où l’on a commencé à se diriger vers l’apocalypse, a eu lieu au XXIe siècle, notre présent. Il y a donc un message qui est transmis entre les derniers êtres vivants et « les premiers », nous, qui avons pris le chemin vers l’extinction. Ce message est celui qui avertit sur les conséquences du progrès et se retourne vers ses ancêtres avec humilité. Les « derniers hommes » doivent faire face à la mort individuelle et collective qu’ils ne peuvent pas arrêter ou contrôler. Ils doivent faire face à l’idée qu’il n’y aura plus de témoignage ou souvenir de la race humaine. C’est cette prise de conscience de l’oubli, de la disparition absolue dans le royaume de l’univers, que les derniers hommes, les plus avancés en technologie et en progrès, apprennent à voir avec humilité, pour envisager la futilité de notre existence.
Comme s’il n’y avait déjà assez de circularités métaphoriques dans ce documentaire fantastique, Last and First Men (littéralement, "Les derniers et les premiers hommes") est le dernier et le premier long métrage réalisé par Jóhann Jóhannsson, mort en 2018 avant la première au Festival de Berlin. Son message a donc également aboli les abîmes entre la vie et la mort.
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