La poussière du temps - la critique

L’argument : L’histoire d’un amour à travers le grand royaume de l’Histoire, des années 50 jusqu’à nos jours.
Un réalisateur américain d’origine grecque réalise un film sur le destin tragique de ses parents et leurs amours contrariés par l’Histoire au temps de la guerre froide. Pour son film, son enquête le mène en Italie, en Allemagne, en Russie, au Canada et aux États-Unis. Véritable voyage à travers le monde du XXème siècle et travail de mémoire sur l’Histoire, une élégie sur la destinée humaine et l’absolu de l’amour... Que seule vient troubler la Poussière du Temps...

Copyright Th. Angelopoulos Productions

Notre avis : Moscou, la Sibérie, Berlin, Jérusalem, Cinécitta, Berlin, New York, Athènes, Ontario... Le dernier film d’Angelopoulos est sous le signe du voyage, de l’exil et des frontières... Depuis Le voyage des comédiens, qui l’a révélé en 1975, le cinéaste grec n’a cessé d’explorer l’Histoire et des mouvements de personnages dans des fables moralistes privilégiant le plan-séquence et le style contemplatif. Deuxième volet (après Eleni) d’une trilogie qui restera à jamais inachevée puisque Théo Angelopoulos nous a quittés dans des conditions tragiques (un accident en 2012), La poussière du temps a écumé depuis de nombreuses années les festivals du monde entier. Il a fallu attendre six ans depuis le tournage pour que le film sorte enfin grâce à Sophie Dulac Distribution. Curieuses trahisons des modes de cinéphiles pour ce poète du pourtant intemporel et fidèle à son art. Testamentaire, le film l’est bien sûr par nécessité puisque le cinéaste n’a pas terminé malgré lui son œuvre mais le traitement de la mort de ses trois personnages principaux (qui n’est pas sans rappeler la démarche de Haneke dans Amour), révèle une préoccupation inédite pour le réalisateur. On se doute qu’en dépit de l’éclatement géographique et historique et de la trame explicitement romanesque, Angelopoulos ne verse pas dans l’épopée lelouchienne et qu’il se proscrit toute émotion gratuite. Pourtant, le montage nettement plus découpé que dans Voyage à Cythère (1984) et la relative lisibilité du scénario font de ce dernier film son œuvre la plus accessible, sentiment renforcé par l’interprétation sensible de Willem Dafoe, qui se meut avec aisance dans l’univers du cinéaste grec, comme Harvey Keitel avait su le faire dans Le regard d’Ulysse (1995). À ses côtés, Bruno Ganz, Michel Piccoli et Irène Jacob forment un trio étonnant, cette dernière retrouvant la grâce de La double vie de Véronique vingt ans après sa révélation chez Kieslowski. Si les puristes préfèreront des films plus radicaux d’Angelopoulos à l’instar de L’éternité et un jour, force est de reconnaître que La poussière du temps reste un grand moment de cinéma. Du film dans le film aux correspondances multiples (le prénom Eleni commun à la grand-mère et sa petite-fille, la volonté de suicide de Jacob et de l’adolescente), de la reconstitution d’une cérémonie soviétique aux déambulations d’Eleni sous la neige, l’œuvre regorge de mises en abyme subtiles et de beautés formelles.