Le 20 décembre 2015
Une leçon de vie autant qu’un beau film foisonnant aux influences diverses.


- Réalisateur : Anca Damian
- Genre : Animation
- Nationalité : Français, Polonais, Roumain
- Durée : 1h25mn
- Date de sortie : 23 décembre 2015

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– Grand Prix / Licorne d’Or Amiens 2015
Une leçon de vie autant qu’un beau film foisonnant aux influences diverses.
L’argument : La biographie d’Adam Jacek Winker, traverse près d’un demi-siècle d’histoire. Polonais réfugié à Paris dans les années 60, sa vie aventureuse prend un tournant radical dans les années 80. Se rêvant chevalier du 20ème siècle, Jacek quitte la France pour combattre les soviétiques aux côtés du commandant Massoud en Afghanistan.
Notre avis : A travers le récit d’une vie, celle mouvementée d’Adam Jacek Winkler, la réalisatrice Anca Damian brouille les règles d’un genre, mêlant vérité biographique et mensonge autobiographique, faux dialogues et vraies péripéties, en utilisant des techniques d’animation et des esthétiques variées ; sans doute faut-il voir là non seulement une volonté, mais aussi le fait que, sous la houlette de Theodore Ushev, ce sont de multiples graphistes aux styles composites qui ont travaillé de concert. On pourrait ajouter nombre de références, qu’elles soient picturales ou cinématographiques : ainsi voit-on un dragon extrait des Nibelungen de Fritz Lang.
© Arizona Films
De ce qui aurait pu aboutir à un patchwork décousu, la cinéaste a fait un tout cohérent, au sens ou une vie peut l’être, avec ces variations et ces changements. On passe ainsi d’un noir et blanc sec (l’administration) à un jaillissement de couleurs pakistanais. Chaque lieu, chaque période, a ses propres tonalités et Winkler lui-même, selon les passages, est une simple silhouette ou une photo sur un dessin, ou le personnage d’un film augmenté de quelques traits. Son itinéraire, qui le mène de la Pologne à la France, de la France à l’Afghanistan pour combattre les Soviétiques, ou, pour reprendre le titre, d’une montagne à l’autre (celle qui représente un idéal, celle qu’il escalade et où il trouve la mort, celle de la frontière, celle qu’il arpente avec les Afghans) est celui d’une existence vouée à un dessein, flou d’abord, décisif ensuite. Qu’il ait fait preuve d’un courage inouï ne fait aucun doute : rien ne nous est épargné de la douleur du combat ; mais ce qui frappe surtout, c’est, par-delà les époques, la continuité d’un engagement. Se rêvant chevalier, il se bat contre des chimères (la baleine après la lecture de Moby Dick) avant de trouver ce qu’il doit affronter : « règle de survie numéro 4 : identifier son combat », dit la voix de Miossec-Winkler. C’est bien une leçon qu’administre la cinéaste à travers lui et, au-delà une vraie réflexion sur le sens de la vie : être prêt à tout quitter, à tout risquer pour ce en quoi on croit. Même aux moments les plus durs, dans le froid et le danger, il ne regrette rien ; il a trouvé son sens,et en particulier auprès de son « frère » Massoud.
© Arizona Films
De ce qui précède il ne faudrait pas déduire que le film est une réflexion aride ou pompeuse : car l’invention poétique est aussi constante que réjouissante ; de la prison sablier au rideau de train qui laisse échapper des photos, ce sont d’incessantes trouvailles qui, loin de simplement agrémenter la narration, la fondent en lui donnant corps. Il y a certes une baisse de régime dans l’épisode afghan, mais la plupart du temps, on est dans un jaillissement éblouissant. D’autant que des images récurrentes (la chute, le cheval ailé ou pas) charpentent solidement le film, agissant comme des échappées symboliques riches et belles. Au fond, dans ce récit foisonnant, Anca Damian propose une méditation quasi métaphysique en même temps qu’une réflexion sur le cinéma d’animation et donc sur le cinéma tout court : elle dépasse le cadre traditionnel, cherchant les limites d’un genre en épuisant quelques-unes de ses possibilités. Le moins qu’on puisse dire, c’est que son ambition, parallèle à celle de son héros, mérite largement de trouver un public curieux et exigeant.