Le 22 mars 2019
Derain compare les couleurs à des cartouches de dynamite. Alain Resnais, lui, décida courageusement de ne pas en utiliser pour son film VAN GOGH. Les toiles du célèbre coloriste sont donc filmées en noir et blanc,ce qui fit grand bruit à l’époque. Sartre n’a-t-il pas dit un jour : J’aime le cinéma jusque dans la géométrie plane. Du noir et blanc, je faisais des couleurs éminentes. En refusant consciemment la couleur, Resnais, dans une fausse irrévérence, marqua son respect vis à vis des toiles de Van Gogh en frustrant les spectateurs et les obligeant à aller regarder les toiles de Van Gogh « en vraie » pour vraiment les apprécier. Pouvoir les apprécier telles qu’elles sont, et non telles qu’elles peuvent être représentées dans un film ou dans un livre. Le film de Resnais reprenant le concept de Magritte : « Ceci n’est pas une pipe ». L’autre idée délivrée par ce film de peinture en noir et blanc est peut-être aussi la confession d’un cinéaste devant la limite du cinéma. Car, le cinéma, par sa jeunesse peut-être,est encore bien incapable de maîtriser la puissancedes couleurs. LeTechnicolor n’a pas vraiment convaincu en fin de compte. Et aujourd’hui, l’air du numérique propose des images de cinéma aux couleurs intéressantes, mais cela va-t-il faire ses preuves dans la durée ?
L’absence d’épaisseur de l’écran filmique, contrairement au tableau, peut d’une certaine façon difficilement rivaliser avec la richessede couleurs de la « croûte picturale ». Le cinéma a donc souvent joué la carte de la profondeur, et non de l’épaisseur par définition. Quelques solutions d’illusions optiques existent pourtant : d’une part lemélange des formats, et d’autre part le fondu enchaîné. Ces dernières années,on retiendra les très nombreuses tentatives de fusion entre format 35mm, 16mm,Super 8mm et vidéo. On peut penser à Oliver Stone sur JFK et NATURAL BORNKILLERS, ou à Jim Jarmusch sur son documentaire protéiforme THE YEAR OF THEHORSE. La grandeur de telles expérimentations réside dans les épaisseurs de grain et donc l’impression de vitesse des images, mais la limite souffre dans la conscience d’un artifice par essence impalpable. L’autre solution est dès lors le fond enchaîné, ce que Raoul Ruiz nommera la troisième image,juxtaposition d’un autre cache sur l’épaisseur de la pellicule. Mais dans les deux cas, le spectateur ressent finalement la distance et la profondeur, et non réellement la chair de l’image.
La difficulté à traiter de la chair, de la matière, au cinéma n’est pas sans rapport avec cette observation toute simple : il existe assez peu de films abstraits. Pour Hubert Damisch, il est clair qu’on ne sait effectivement pas comment traiter la peinture abstraite au cinéma. Où estl’influence de peintres tels que Mondrian, Pollock ou Matisse dansl’univers filmique ? Hans Richter et Mc Laren auront à leur manière tenté d’y remédier, mais sans pour autant réussir à sortir l’abstraction de la marginalité expérimentale. Une autre remarque s’impose alors : si le film abstrait n’existe pas au cinéma de manière visuelle, il est en revanche beaucoup plus vraisemblable qu’il existe réellement dans la construction même des films. C’est un peu le cas d’un film tel que ZORNS LEMMA d’Hollis Frampton.La peinture n’influence donc le cinéma (et inversement) pas seulement de manière picturale mais aussi au plus profond de son architecture. Et par architecture, comprendre entre autres montage, temps et espace.
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