Et si la nazisploitation avait engendré de bons films ?
Le 18 octobre 2016
Genre méprisé s’il en est, la nazisploitation - qui eut une existence assez limitée dans les années 1970 - a fait du spectacle de la torture dans les camps de la mort un divertissement teinté de sadomasochisme et de fétichisme. Ces films complaisants sont pourtant le maillon manquant entre le Grand Guignol, la littérature pulp et le torture porn des années 2000. La dernière orgie du IIIe Reich en est non seulement la preuve mais se trouve aussi être sûrement LE chef-d’œuvre (sic) de ces provocations érotico-nazies sur pellicule.
- Réalisateur : Cesare Canevari
- Acteurs : Adriano Micantoni, Daniela Poggi
- Genre : Épouvante-horreur, Film de guerre, Érotique
- Nationalité : Italien
- Editeur vidéo : Artus films
- Durée : 92 min
- Titre original : L'ultima orgia del III Reich
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans avec avertissement
- Date de sortie : 7 décembre 1977
L'a vu
Veut le voir
-Sortie DVD : le 4 octobre 2016
Résumé : Pendant la guerre, la jolie Lise est envoyée dans un camp de concentration. Le commandant du camp, Conrad Von Starker, succombe à son charme et commence à entretenir une relation de maître à esclave avec elle. Capable d’endurer la souffrance, Lise subit les jeux de domination du SS de plus en plus cruels et sadiques. Quelques années après la fin de la guerre, les deux retournent dans le camp, afin de se remémorer ainsi des souvenirs troubles et malsains.…
Notre avis : S’il fallait voir un seul film de nazisploitation - genre aussi nommé sous le nom d’Eros Svastika -, ce serait sans nul doute cette Dernière orgie du IIIe Reich, aussi connu sous d’autres titres comme Des filles pour le bourreau ou l’assez comique et inapproprié Caligula Reincarnated as Hitler. En effet, tout y est, autant les excès transgressifs que les discours nauséabonds et l’érotisme SM tendance gore. Mais pas que... Car Cesare Canevari n’était pas un réalisateur de films de genre comme les autres, comme son film Matalo !, ressorti il y a peu chez Artus Films, nous l’a largement démontré. Son utilisation anarchique de la caméra, adepte du zoom ou des mouvements brusques, est immédiatement reconnaissable. Au bout du compte La dernière orgie du IIIe Reich est peut-être la rencontre inattendue du cinéma d’auteur et de l’exploitation la plus crasse. La limite est tellement fine que le film nous happe dans son univers, sans jamais nous tirer un rire ironique - cette tendance au second degré qui peut amener à apprécier certaines séries B.
Le scénario lui même semble être un mélange entre des grands films comme Portier de Nuit (1974) de Liliana Cavani et Salo ou les 120 journées de Sodome (1975) de Pasolini et des films plus médiocres comme Love Camp 7 (1969) de Lee Frost et Ilsa, la louve des SS (1975) de Don Edmonds, ce dernier ayant véritablement lancé la vague de nazisploitation qui allait sévir sur les écrans jusqu’en 1979. Cannibalisme, scatologie, infanticides, tortures, viols, l’outrance est de mise, mais le réalisateur insuffle aussi des dialogues antisémites extrêmes et un refus du manichéisme qui s’éloignent de l’aspect souvent inoffensif de ces bobines érotico-nazies. D’emblée, le film démarre sur une citation de Nietzsche et montre sa volonté de sérieux, mêlant différents temps de narrations, celui du procès, celui du présent avec les retrouvailles entre le commandant Conrad Von Starker et Lise, et le flashback des sévices que celle-ci a vécu dans le camp qu’il "dirigeait". "Diriger" est un grand mot, car Conrad se contente d’accepter les ordres sans rechigner. Il fut un grand soldat mais n’est devenu qu’un sous-fifre condamné à gérer un bordel destiné à des hommes bien plus jeunes et vigoureux que lui. Éjaculateur précoce, il rampe même devant Dagmar, la commandante SS, pourtant en dessous de lui dans l’échelon hiérarchique. D’un autre côté, la figure victimaire (Lise) est bien plus ambiguë qu’il n’y paraît. Insensible à la douleur, son état traumatique est en partie lié à sa participation dans la dénonciation de sa famille déportée à Auschwitz et tuée. Et même quand elle retrouve goût à la vie, après une bonne partie de baise avec le médecin du camp, elle ne vient pas pour autant en secours à son amie. Elle reste une individualiste, cruelle, jusqu’à elle même devenir une meurtrière. Cette ambivalence des personnages est soutenue par des interprétations tout à fait convaincantes de Daniela Poggi (qui par la suite tournera pour Chabrol ou Deodato) et Adriano Micantoni (qui, lui, avait déjà une longue carrière derrière lui).
Mais le film reste mémorable pour ses séquences excessives, pas forcément ultra sanglantes mais odieuses pour sûr : des soldats qu’on excite en montrant des femmes se couvrant le corps d’excréments, un repas de dégustations de fœtus juifs afin de proposer le cannibalisme comme solution finale, un corps de jeune femme recouvert de cognac et flambé, une partie essayage avec des culottes en cheveux humains et des gants faits avec de la peau de bébé, une fille défigurée à la fourchette, un tatouage arraché sur de la chair à vif, une autre jeune femme dévorée par des dobermans, sans compter des scènes de torture avec des rats ou de la chaux vive, qui évoquent l’esthétique torture porn avec presque trente ans d’avance. Et dans ce lot de moments repoussants, toujours aussi perturbants aujourd’hui, on trouve des fulgurances visuelles, telle cette scène de femmes qui vont être brûlées dans le four crématoire. Parler de beauté - même morbide - serait exagéré, car tout ici n’est qu’horreur et abus, mais Canevari arrive à dégager une émotion mélancolique de certains plans. Même le thème musical, "Lisa", apporte un peu de sensibilité à cet alignement d’atrocités. C’est là où La dernière orgie du IIIe Reich dépasse tous les autres exemples du genre. De même, la scène d’orgie sadique au début du film n’aurait pas dépareillé dans le Salo de Pasolini, avec son décor minimaliste où la chair et le sang s’étalent sur des décors blancs et rouges.
Avec le recul, on se dit que ces films là en avaient dans le pantalon, car ils ne s’attaquaient pas qu’au nazisme et au passé sombre de l’Europe, mais aussi à toutes les pratiques sexuelles extrêmes. Là où La dernière orgie du IIe Reich frappe fort, c’est qu’il nous donne des scènes aussi insupportables sur le plan visuel que moral. Le fond ne se détache jamais vraiment de la forme. À une autre époque, certains auraient parlé de "cinéma vomitif". Vidant de l’aspect comique la dimension grand-guignolesque et l’inspiration pulp du genre, le film de Canevari acquiert une certaine puissance dans le malsain et nous donne l’impression qu’ici rien n’est gratuit. Un vrai film d’exploitation sérieux, comme on en voit rarement, qui peut aussi avoir valeur de défouloir purificateur. À redécouvrir d’urgence, si possible en famille ou avec des ami(e)s. Ils vous apprécieront plus encore après le visionnage...
Le genre de littérature sixties qui a pu inspirer la nazisploitation...
Le DVD
Les suppléments
Contrairement à leurs habitudes, cette fois-ci les défricheurs d’Artus ne nous offrent pas d’entretien avec un spécialiste du genre. Le caractère moralement abject et politique très incorrect du film aurait-il fait fuir tout le monde ? En revanche, nous avons une fin alternative, fort intéressante, appuyant cette dimension mélancolique et funèbre dont je parlais plus haut. Nous trouvons également trois bandes annonces de films de la collection Guerre et barbarie, ainsi qu’un diaporama.
Image & Son
Il est indispensable de regarder le film en version originale sous-titrée, car des portions de la version française n’ont pas de son. Il s’agit évidemment des scènes censurées et donc des meilleurs moments du film. À d’autres moments, on passe directement à la VO. Le son lui même est bien plus clair et moins saturé dans la version originale. La copie, en format 1.77 d’origine, a vécu et l’image est granuleuse, mais cela fait partie du charme de ces films.
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.