La dame au petit chien

Vingt pages à peine. Un chef-d’œuvre.

"Plus c’est court, mieux ça vaut... La brièveté est sœur du talent", disait Tchekhov, qui professait également l’objectivité, la simplicité et la tendresse. Ces canons esthétiques, il les amène à leur point culminant dans La dame au petit chien, une de ses dernières nouvelles [1]. L’histoire ? Comme toujours chez Tchekhov on est loin de tout romanesque. La dame au petit chien est un accident du quotidien, banal et douloureux. Voici Gourov, homme marié et père de famille, qui aligne les conquêtes sans jamais aimer. A l’âge des tempes grises, il est pris au piège de l’amour et se rend compte que sa vie apparente n’est que mensonge et hypocrisie, et que "sa vraie vie, la plus intéressante" se déroule "sous le couvert du secret comme sous le couvert de la nuit".
Concision extrême. La langue est d’une simplicité déroutante, presque laconique mais d’une sobriété mélodieuse. "On disait qu’un nouveau personnage était apparu sur la côte : une dame avec un petit chien." À peine une phrase introductive et on est dans le vif du sujet. Gourov acquiert immédiatement de l’épaisseur, devient frère du lecteur. Compassion, absence de jugement : en médecin qu’il est, Tchekhov porte un énorme respect à ses personnages et les aborde tout en nuances, en allusions et en ellipses. Comme dans son théâtre, c’est dans les blancs, les non-dits, que se concentrent la complexité et la richesse, le pathétique et le dérisoire de la vie quotidienne. Et, comme dans son théâtre, la chute de La dame au petit chien entrouvre la porte vers un espoir, ténu peut-être, quasi impalpable, mais qui laisse pressentir la foi que l’auteur avait malgré tout en l’homme. Oui, décidément, Gorki, son ami, avait raison : Tchekhov est le maître de la nouvelle courte...