Le 22 octobre 2018
Grand film oubllié d’un cinéaste méconnu, La constante est la tentative originale et déconcertante de sonder, à travers un Candide vertueux, la corruption d’une société dans son ensemble.
- Réalisateur : Krzysztof Zanussi
- Acteurs : Tadeusz Bradecki, Zofia Mrozowska, Malgorzata Zataczkowska
- Genre : Drame
- Nationalité : Polonais
- Distributeur : Les Films Molière
- Durée : 1h34mn
- Box-office : 63.861 entrées Paris Périphérie
- Titre original : Constans
- Date de sortie : 29 octobre 1980
- Festival : Festival de Cannes 1980
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Résumé : Witold organise des expositions dans les pays étrangers. En Inde, il découvre les manigances de son patron. Féru d’alpinisme et las des mesquineries inhérentes au monde moderne, il décide de partir réaliser son rêve : escalader l’Himalaya. Mais le mauvais sort qui poursuit l’être seul opposé au reste de la société, le frappe de plein fouet...
Notre avis : Witold passe une visite médicale ; il connaît ses mensurations, cite les chiffres. De chiffres il sera beaucoup question dans le film, parce qu’ils fascinent le protagoniste : il tente de suivre des études de mathématiques, jette des dés, calcule à partir de flèches qu’il envoie sur une cible. Pour lui le monde devrait se résumer à un destin calculable mais, comme le dit son professeur, la vie est décevante par rapport aux statistiques, fiables et sensées. C’est tout le parcours de Witold que cette prise de conscience : apprendre que les idéaux se fracassent sur la réalité. Tout sera organisé pour qu’il plie, mais rien n’y fait, il reste un pur dans un monde corrompu. Il ne comprend même pas que les autres profitent illégalement, que son patron lui demande de signer une fausse note de service. Naïveté ? Sans doute, puisqu’il croit que ses collègues vont le soutenir alors qu’ils finissent pas le tabasser, puisqu’il les croit innocents du vol des deux cents dollars qui ont disparu. D’où le jugement de ses pairs, selon lesquels il est prétentieux et se croit supérieur. Trop différent. Trop sensible (voir sa réaction à la mort déchirante de sa mère). Trop franc. Trop honnête : il refuse l’aide financière de sa mère. Bref un être à part, mal dans une société qui a fait de la corruption un système fondamental.
C’est tout le talent de Zanussi de faire patiemment le portrait d’un inadapté, avec des touches presque comiques, comme quand il ne saisit pas qu’il faut payer pour que sa mère ait un lit à l’hôpital. Il en devient touchant tant il est incapable de faire du mal. Sa probité le pousse, alors qu’il a enregistré son chef, à détruire la bande. Par ces petites notations éparses, que le spectateur doit recoller à la manière d’un puzzle, Witold apparaît comme l’envers de la société polonaise de cette époque,
Affiche de René Ferraccimais plus généralement, comme celui de toute société dans laquelle les compromis sont nécessaires. Ne pas transiger c’est se vouer à l’échec professionnel. Witold en fait l’amère expérience, puisque, même face au chantage, il ne plie pas et voit s’échapper ses deux rêves : gravir l’Himalaya et suivre des études. Faute d’avoir joué le jeu, on le piège et la consolation des rires avec sa copine ne compense pas l’amertume que le spectateur éprouve à sa place. À sa place car lui reste placide, accepte son sort. Il faut dire qu’il s’est opposé à des Occidentaux convertis à l’hindouisme qui prétendaient que « chaque humain est libre de choisir sa vie ».
Film moral sur la question du Bien et du Mal, La constante n’est jamais moralisateur. Pas de leçons donc, mais une suite d’interrogations que la fin ouverte ne tranche pas. Cependant, comme Zanussi est un grand cinéaste, marqué par le cinéma moderne et en particulier la Nouvelle Vague, il ne fait pas de son métrage une réflexion pesante : si ses personnages ont de la chair, elle s’exprime non par une narration traditionnelle mais par des blocs de séquences au rythme travaillé. Ainsi le récit est-il fréquemment interrompu par des pensées mises en images, des vues aériennes des montagnes qu’il ne verra jamais. S’il avance, c’est de manière chaotique, avec une apparente liberté derrière laquelle se dissimule une vraie rigueur. Il y aura des pauses, parfois étranges, comme ce danseur en Inde, des récurrences symboliques (sa chute sur la glace ou au ski ; son regard qui part brusquement vers le hors-champ) et beaucoup de détails qui sont autant d’effets de réel définissant au mieux le personnage. Bien qu’il soit un peu aride, le film comprend de nombreuses notations émouvantes, comme la mort de sa mère, ou haletantes (l’embarquement, la fouille), qui en font une œuvre profondément humaine. Et il laisse un goût âcre, tant Zanussi s’acharne sur son héros pour briser un idéalisme presque saugrenu. Jusqu’à une ironie mordante : Witold rêvait de conquérir un sommet, il ne pourra que laver des carreaux en altitude, encordé comme un alpiniste.
Box-office : sorti dans moins de 10 salles sur Paris en novembre 1980, le film a obtenu au final plus de 60.000 entrées sur 13 semaines. Un score solide, qui a joué sur un bouche-à-oreille.
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