Le 10 décembre 2023
Un peu perché, sans doute un peu trop long, mais rudement original. Le nouveau long-métrage de Patric Chiha après six ans d’absence s’aventure dans les eaux troubles des discothèques des années 1980 à nos jours.
- Réalisateur : Patric Chiha
- Acteurs : Béatrice Dalle, Anaïs Demoustier, Tom Mercier, Mara Taquin, Martin Vischer, Sophie Demeyer
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Autrichien, Belge
- Distributeur : Les Films du Losange
- Editeur vidéo : Blaq Out
- Durée : 1h43mn
- Date de sortie : 16 août 2023
- Festival : Festival de Berlin 2023
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– Sortie DVD : 5 décembre 2023
Résumé : "La bête dans la jungle", librement adapté de la nouvelle de Henry James, est l’histoire d’un huis clos vertigineux : pendant vingt-cinq ans, dans une immense boîte de nuit, un homme et une femme guettent ensemble un événement mystérieux. De 1979 à 2004, l’histoire du disco à la techno, l’histoire d’un amour, l’histoire d’une obsession. La « chose » finalement se manifestera, mais sous une forme autrement plus tragique que prévu.
Critique : Duras s’était essayée à mettre en mots sur une scène de théâtre le texte mystérieux de Henry James, La bête de la jungle. Patric Chiha s’attaque à son tour à un morceau de littérature anglaise du début du XXe siècle, en conservant pour trame principale l’imminence d’un évènement énigmatique qui doit se dérouler dans un temps incertain. L’occasion de cette annonce permet à deux personnages, non moins mystérieux, May et John, de se réunir, quelque dix ans après un secret confié lors d’un bal populaire. Évidemment, le récit ne va pas de soi et s’engage dans des marécages sentimentaux, sous couvert de presque trente ans de la vie d’une boîte de nuit.
- © Anna Falgueres
La discothèque où se déroule chaque samedi des soirées interlopes n’a pas de nom. Elle est tenue par une femme aux airs macabres, qui accompagne de sa voix grave la construction d’une relation amicale entre ces deux personnages atypiques. Tout relève ici de l’extraordinaire, jusqu’à ces soirées déguisées où les couples hétérosexuels, bisexuels et homosexuels s’adonnent à des danses excentriques et sensuelles. La musique électronique tonne, telle un refrain d’amour dans ces relations qui se font et se défont au rythme des nuits du samedi. Le réalisateur raconte près de trente années de rencontres dansantes dans cet endroit sombre et fascinant, où May et John apprennent à se connaître, se défier, et s’attirer inexorablement. On retrouve la folie créative des années 80 et 90 qui ont été ternies par les ravages du sida, puis plus tard la réunification allemande, les attentats du 11 septembre, le passage au second millénaire etc. La grande Histoire marque ainsi la petite histoire de ce lieu dansant, semblable sans doute à ces mille et un lieux en France où chacun d’entre nous avons passé nos week-ends et y avons déposé un bout de nous-mêmes.
- © Anna Falgueres
Les dialogues sont très durassiens. Le scénario prend le temps d’observer cette relation qui se noue entre ces deux être fantasques, l’un étant particulièrement étrange et asocial, l’autre se perdant dans la danse pour échapper à ce qu’elle redoute d’elle-même. L’amour n’advient pas dans cette rencontre. Ils attendent l’évènement qui doit survenir un jour ou l’autre, en renonçant en même temps à vivre l’instant présent. La bête de la jungle est un long-métrage très travaillé. Les costumes époustouflants, les lumières, les décors participent à une narration énigmatique et vertigineuse. En réalité, le spectateur doit aller au-delà des apparences pour se rendre compte que derrière ce récit, se cache celui d’un grand nombre d’entre nous, qui à l’instar de Godot, à force d’attendre, sommes passés à côté de nos existences.
- © Aurora Films, Frakas Productions, Wildart Film. Tous droits réservés.
Les deux comédiens principaux illuminent particulièrement le film. D’un côté, il y a Tom Mercier qui, dans une tonalité de voix lui étant si particulière, endosse un personnage à la fois sombre, aimant, anxieux et généreux. En face de lui, il y a Anaïs Demoustier qui incarne un rôle à sa mesure, celui d’une jeune femme juste, sincère, authentique mais aussi rongée par ses peurs intérieures. Ils forment une sorte de couple névrotique fascinant, totalement absorbé par les tourbillons de lumières et de musiques qui peuplent la discothèque. On ne dira rien de Béatrice Dalle dont c’est un retour au cinéma, et qui, parallèlement à l’histoire de cette boîte de nuit, demeure l’une des plus grandes figures du cinéma français de ces trente dernières années.
Laurent Cambon
Le test DVD
- © Aurora Films, Frakas Productions, Wildart Film / Blaq Out. Tous droits réservés.
Les suppléments
Les bonus se limitent à un seul entretien (certes intéressant) avec le réalisateur. On aurait aimé y voir figurer d’autres aspects de l’œuvre de Patric Chiha dont l’un de ses courts métrages ou documentaires, ou des informations sur le matériau littéraire d’origine, les interprètes, etc.
Entretien avec le réalisateur Patric Chiha (25mn)
Ce document peut être consulté avant le visionnage, si l’on souhaite avoir des clefs de lecture pour apprécier un film dont les intentions peuvent paraître floues a priori. Si l’on préfère se laisser séduire par un récit mystérieux et avec zones d’ombre, il vaut mieux voir d’abord le film. Réalisateur autrichien ayant travaillé en France, Patric Chiha a alterné documentaires et fictions. Il affirme avoir été passionné par le roman de Henry James, dont est tiré le scénario, et avoir remplacé les bals du début du XXe siècle par le décor d’une discothèque branchée, entre 1979 et 2004, période dont la fin correspond à sa propre fréquentation des boîtes de nuit. Le caractère littéraire voire théâtral est assumé, et il a même demandé à Anaïs Demoustier d’oser un jeu expressif, ce qui est surprenant car l’actrice est bien plus en retenue qu’à son habitude. Parmi les autres informations, on apprend que le réalisateur n’a pas dévoilé toutes ses intentions à ses interprètes, de façon à accentuer les hésitations et surprises de leurs personnages. Ce procédé a priori lelouchien profite en fait au film qui peut être interprété de plusieurs manières, le spectateur étant également acteur du dispositif. On se questionne ainsi sur la tenancière de l’établissement, campée par Béatrice Dalle. Est-elle une incarnation de la Mort, à l’instar de Maria Casarès dans Orphée, un symbole du destin ou l’image d’un ange protecteur ? Le réalisateur lui-même n’en sait rien...
L’image
Le DVD permet d’apprécier la photo de la cheffe opératrice Céline Bozon, qui a également collaboré avec Jean-Paul Civeyrac, Tony Gatlif, Valérie Donzelli, Serge Bozon... Visuellement, le film est séduisant et parvient à créer une ambiance quasi onirique, amplifié par le choix de certains costumes excentriques ou mystérieux (comme la cape de Béatrice Dalle, offerte par Saint Laurent).
Le son
Le film, en langue française, peut être visionné avec audio-description. Des sous-titres pour sourds et malentendants sont disponibles. Pour un long métrage se déroulant dans une discothèque, le travail sur le son est essentiel. Le film évite à la fois le tintamarre musical de Mekhtoub My Love : Intermezzo et l’accumulation de tubes qui est souvent la caractéristique de récits se déroulant sur plusieurs décennies. À la demande du réalisateur, les quatre musiciens qui ont assuré la BO (dont Émilie Hanak et Dino Spiluttini) ont composé des partitions personnelles (une trentaine au total) qui ont le mérite de surprendre et de bien s’insérer au dispositif. Le DVD au niveau sonore est fidèle à leur travail.
Gérard Crespo
- © Aurora Films, Frakas Productions, Wildart Film / Les Films du Losange. Tous droits réservés.
Galerie Photos
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