Un monde de chiens
Le 9 mars 2015
Ce coffret regroupant douze documentaires de Richard Olivier fait le portrait d’une Belgique complexe, révoltée, souvent sinistre, rongée par le mal être, la solitude des "mal aimés" et les tensions sociales. Un cinéma vérité qui nous plonge dans un monde tragicomique, aussi désespéré et désespérant que le gris du ciel.
- Réalisateur : Richard Olivier
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Belge
- Editeur vidéo : Bac Films
- Durée : 702 min
- Date de sortie : 3 mars 2015
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- Sortie DVD : 3 mars 2015.
Ce coffret regroupant douze documentaires de Richard Olivier fait le portrait d’une Belgique complexe, révoltée, souvent sinistre, rongée par le mal être, la solitude des "mal aimés" et les tensions sociales. Un cinéma vérité qui nous plonge dans un monde tragicomique, aussi désespéré et désespérant que le gris du ciel.
L’argument : Documentariste à la tête d’une filmographie qui se décline comme un jeu de l’oie sur la Belgique, Richard Olivier n’arrête pas de fixer sur pellicule les curiosités, les révoltes, les coups de gueule ou de tendresse que lui inspire ce pays secret qui dissimule son identité en cultivant un folklore où l’autodérision le dispute aux nunucheries kitsch de tout acabit. Sa devise : « tourner pour ne pas mal tourner ». « Seul m’intéresse vraiment le cinéma qui s’essaye à filmer la vérité et que l’on nomme cinéma du réel, faute d’avoir trouvé mieux, histoire de faire court. »
Notre avis : Le titre de ce coffret semble nous renvoyer à la grande époque des Mondo movies, quand L’Asie interdite, L’Amérique interdite, La France interdite et autre Allemagne interdite envahissaient les rayons des vidéoclubs. Et en effet ces douze documentaires nous donnent à voir la face cachée de la Belgique, celle que l’on ne veut pas voir car trop dérangeante, morbide ou lugubre. C’est celle des laissés-pour-compte, des vieux qu’on oublie et qui attendent la mort au milieu de leurs animaux naturalisés (Esther Forever), celle rongée par le chômage, le racisme, la violence et la misère sociale (Marchienne de vie, Un été à Droixhe), celle des rescapés des camps de concentration qui essaient de survivre à travers l’art (Wilchar, les larmes noires), celle des crimes et des faits divers sordides (Au fond Dutroux, Petits meurtres ordinaires), celle des solitaires désespérés d’un jour pouvoir trouver l’amour (Elles m’ont dit, Mal aimé), celle de ceux qui se raccrochent à la foi telle une névrose obsessionnelle (Les allumés de la foi). Si certaines de ces images sont connues car diffusées dans le cadre de l’émission télévisée célèbre Strip-tease, beaucoup sont rares et témoignent de l’indépendance absolue du cinéma de Richard Olivier, couvrant son travail sur pellicule depuis la fin des années 1980 jusqu’au passage au numérique dans les années 2000 avec des films qu’il a entièrement faits tout seul avec son propre argent. Son implication, sa vision et son amour pour ses sujets ne font aucun doute tout au long de ce périple dans son œuvre.
Esther forever © Olivier Films
Toujours agrémentés d’entretiens avec le cinéaste, généralement dirigés par le grand spécialiste des tueurs en série Stéphane Bourgouin bien que, sur le cinquième DVD, la réalisatrice et écrivaine Nadine Monfils prenne la relève pour aborder notamment Les allumés de la foi, les six disques ont été classés par thématiques, créant des parallèles intéressants entre les différents sujets traités par Richard Olivier. Sur le premier DVD, Elles m’ont dit offre le portrait intime de six femmes. Les rencontres semblent se faire en direct, avec la caméra portée, et on suit ces personnes dans leur quotidien. Elles se livrent, parlent de ruptures amoureuses ou de relations malheureuses. L’une est infirmière, l’autre travaille dans un hôtel de passe, et elles se sentent toutes profondément seules. Il est donc fort bienvenu d’avoir juxtaposé à ce film cette autre étude sur le manque d’amour qu’est Mal aimé. Interdit en Belgique alors qu’il reçut un gros succès en France, ce documentaire se focalise sur les pratiques sadomasochistes et le besoin de dominer ou d’être dominé. Le réalisateur a choisi de s’attarder sur Marlène, une maîtresse vieillissante mariée qui a perdu sa fille paralysée dans des circonstances tragiques, Marcel et sa femme qui tiennent un commerce spécialisé, une autre dominatrice qui n’a pas vu ses filles depuis trois ans, un psychanalyste freudien et un de ses clients qui se dit être une "femme à pénis" ayant tout de même fait trois enfants avec une dominatrice. Un fort sentiment de dépression ressort de ces entretiens. Le plaisir y apparaît comme une tyrannie et la normalité comme une absurdité.
Marchienne de vie © Olivier Films
Le second DVD s’attarde sur les violences urbaines. Petits meurtres ordinaires nous parle de deux crimes de femmes âgées commis en moins de quarante-huit heures dans un même quartier de Bruxelles par un jeune Maghrébin sans motif apparent. L’enquête est menée en direct et la personnalité du fils d’une des victimes, Thierry, un junkie au tempérament difficilement contrôlable, attire en particulier l’attention de Richard Olivier. La peine, la colère et l’incompréhension crèvent l’écran. La peur règne. Cette même angoisse urbaine est au centre d’ Un été à Droixhe. Cette banlieue de Liège est devenue une cité à risques, un véritable cauchemar, où le quotidien se teinte d’une paranoïa, souvent justifiée. Vandalisme, saccages, immigration massive, trafic d’armes, pédophilie. Les balcons s’effritent. Les pierres des immeubles tombent. Les vieilles dames n’en peuvent plus d’être agressées et de voir des excréments dans les ascenseurs. L’utopie architecturale transformée en un décor d’apocalypse. Pourtant, de là naît une révolte créative, à travers la musique et le graffiti.
Les allumés de la foi © Olivier Films
Le troisième DVD développe justement ce dernier aspect à travers des rencontres avec des artistes fantasques, tous héritiers du surréalisme, d’un esprit de contestation et de provocation. Wilchar, les larmes noires relate la rencontre poignante avec un ancien résistant, rescapé des camps de la mort. Il parle de ses amis morts, de l’inhumanité du monde capitaliste, des tortures, de l’art politique et on le voit revenir sur les lieux du cauchemar en évoquant tous ces souvenirs. Les fous du roi rend hommage à l’esprit irrévérencieux des Belges. L’imagination fantaisiste des créateurs sélectionnés (une composition à base de moules de Marcel Broodthaers, des collages où les visages sont remplacés par des actes de pénétration, le musée du slip, etc.) renvoient à l’esprit du carnaval, bien que les fantômes de la seconde guerre soient toujours présents.
Le quatrième DVD s’attache là aussi à la mémoire à travers une pratique singulière : la taxidermie. Esther Forever est, à ce titre, un des films les plus ambitieux et puissants de Richard Olivier. Le seul à avoir une durée de film de cinéma avec ses quatre-vingt-sept minutes. En 1997, le documentariste réalise un premier sujet sur la naturalisation des animaux domestiques : Peaux de chagrin. On y ressent la peine de ces personnes âgées et solitaires qui dirigent leur affection vers leurs compagnons à poil. De ces rencontres, celle avec Esther et sa sœur Elvire est particulièrement touchante. Ces deux septuagénaires font empailler tous leurs chiens et leurs chats, transformant leur intérieur en un musée vivant dédié à cette pratique morbide. On les sent se rattacher aux souvenirs comme pour survivre. Pendant six années, Richard Olivier les suivra, enregistrant la détérioration de la santé d’Elvire jusqu’à son décès. La mort y est non seulement une compagne constante pour Esther mais aussi sa manière de faire face à la vie. On la quitte d’ailleurs avec le désir de se mettre elle même à la taxidermie pour pouvoir devenir autonome dans cet art qui la fascine.
La Belgiq’kitsch © Olivier Films
Le cinquième DVD continue à explorer le fétichisme grotesque et les obsessions de personnages romantiques et solitaires. Si La Belgiq’Kitsch offre un patchwork de gens et de situations singulières, allant des animations pour clubs du troisième âge à la réincarnation de la reine Astrid, Les allumés de la foi fait le portrait de trois personnages qui vivent leur dévotion de manières fort différentes : l’un se met dans la peau du Christ portant la croix, l’autre est un ex braqueur de banque passionné de musculation qui se veut une sorte de Robin des Bois des temps modernes, le dernier est un moine rejeté de tous et même des siens qui a d’étranges manies, dont celle de ne pas supporter les croix à angles droits.
Le dernier DVD s’attaque, lui, frontalement à l’affaire Dutroux, ce pédophile qui a pu agir pendant des années sans que personne ne se doute de quoi que ce soit. Dans ce décor de neige et de ciel gris, au pays des mineurs et des ferrailleurs, Richard Olivier rencontre les voisins, recueille les témoignages, et nous parle, mieux que quiconque, de ces petites villes sinistres et déprimantes. Au fond Dutroux fait donc suite à Marchienne de vie, tourné trois ans plus tôt, avant que les actes de Dutroux ne soient révélés. Marchienne-au-Pont, dans le grand Charleroi, respire le mal être. Les usines de cette région industrielle ferment les unes après les autres. Les immigrés sont venus pour la main d’œuvre et ont enfanté massivement sans qu’il n’y ait aucun avenir pour leur progéniture. Le racisme et la pauvreté grimpent. Certains se raccrochent au culte de Sainte Rita et d’autres tombent dans la folie et le meurtre. Un contexte étouffant et noir qui ne pouvait donner lieu qu’à des tragédies comme celles liées à Marc Dutroux.
La Belgique interdite est donc un parcours passionnant dans le travail du documentariste Richard Olivier qui met à jour de nombreuses facettes de la Belgique que l’on ne souhaite pas forcément voir, à mille lieues des caricatures de cartes postales sur le pays de la frite. Si le visionnage des ces films peut être parfois démoralisant, voire terrifiant, ils n’en restent pas moins des témoignages importants sur leur époque. Le cinéaste parle lui même de son œuvre comme d’un "cimetière". On ne pouvait mieux le formuler.
L’édition de ce coffret est de haute tenue. Chaque DVD est accompagné d’un entretien avec Richard Olivier, toujours très intéressant à écouter et investi par son travail. Il aime volontiers les digressions, contextualise les films et aide à faire les liens entre cette œuvre riche et fournie qui s’apparente véritablement à un puzzle. Comme nous le disions plus haut, il avoue lui même que son cinéma possède un fond terrifiant, alors que lui même est plutôt un bon vivant, avec beaucoup d’humour, comme ces entretiens nous le prouvent.
Image & Son
S’il est un point faible à signaler dans le cinéma de Richard Olivier, c’est l’utilisation de la musique. Souvent pesante et encombrante, elle est surtout non appropriée. Que vient faire la soupe mystico-variété-new age d’ERA dans Un été à Droixhe ou l’abominable Jean-Jacques Goldman dans Marchienne de vie ? On en préfèrerait presque le groupe local terriblement mauvais d’ Au fond Dutroux car au moins eux on sent qu’ils sont du coin ! Richard Olivier aime aussi à utiliser des musiques aux tonalités religieuses ou médiévales. Celles-ci passent encore car elles suggèrent une quête mystique et un au-delà des images. On notera aussi que certaines des musiques originales ont été assurées par Alain Pierre, apparemment le même qui avait composé la bande originale des premiers films de Thierry Zeno dans les années 1970, Vase de Noces (1975) et Des Morts (1979), magistrales œuvres alchimiques et morbides, dont les sentiments noirs ne sont pas si éloignés du cinéma de Richard Olivier. Il faut aussi signaler qu’il y a des fortes différences de niveaux sonores entre les interviews offertes en supplément et les documentaires, ce qui implique de garder sa télécommande à côté pour monter et baisser le volume. Pour le reste, la qualité est optimale. On voyage ainsi dans le cinéma de Richard Olivier, de la période où tout était tourné en pellicule jusqu’à l’arrivée des caméras numériques.
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