Le 12 mai 2020
Ce documentaire passionnant évoque le géant Amazon et son monopole sur le marché, sans qu’aucune loi ne l’en empêche. Bienvenue dans un monde dystopique, qui est devenu le nôtre.
- Réalisateur : David Carr-Brown
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Allemand
- Date télé : 12 mai 2020 20:50
- Chaîne : Arte
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Critique : Jeff Bezos est quasiment devenu ce qu’il souhaitait être : l’intermédiaire de tout ce qui se vend sur Internet, tout en donnant à chacun la sensation d’une autonomie absolue qui transite par une liberté de consommer. Une sensation de liberté liée à une hégémonie, à une volonté d’être, selon l’un des intervenants, l’unique fournissseur de ce qui, réduit à une marchandise, circule à travers le monde
Et à quel prix ?
Ce documentaire de 2017, passionnant, revient sur le parcours du fondateur d’Amazon, apparu en même temps que la démocratisation du World Wide Web, devenu le terrain de jeu de tous les yuppies aux grandes dents, ivres de projets lucratifs, porté par le vent du libre-échange, de l’ouverture des frontières, de l’avènement du secteur tertiaire, mais aussi des licenciements économiques massifs dans les bassins ouvriers. Ces prolétaires ont grossi les rangs des petites mains qui servent les desseins du PDG, auquel le film accole l’image du joueur de flûte de Hamelin. On sait ce qu’il advint dans l’histoire.
Le monde d’Amazon, soutenu par des villes, des Etats et des finances publiques, on connaît, mais il est toujours bon d’en reparler : une structure qui piste des milliers d’employé(e)s, les anonymise, les fait travailler toute la journée avec un chariot, un lecteur code barres et une commande, chacun(e) devant œuvrer en un temps minuté dans un dédale de produits. tout en étant sous-payé(e). Le parallèle que propose le film avec la violence subie par les dockers dans le long métrage Sur les quais n’est pas une incohérente analogie, loin de là.
S’accommodant aussi du modèle de la "gig economy", celui des petits boulots qui obligent à un cumul des activités, la philosophie d’Amazon, compatible avec une certaine tradition du libéralisme américain, s’incarne dans Amazon Flex qui propose à chacun de devenir son propre boss, de livrer "quand vous le voulez, autant que vous le voulez", pour reprendre le slogan de l’entreprise : un travailleur en explique les modalités, tout en oubliant de dire que son boulot de livreur payé à la tâche ne lui offre aucune couverture sociale, que l’assurance du véhicule reste à la charge de l’employé, ainsi que l’essence.
Le documentaire donne la parole aux thuriféraires d’Amazon et aux détracteurs de cette entreprise tentaculaire, tout en élargissant la réflexion à d’autres initiatives créées par des émules du célèbre entrepreneur, comme Casper, expert du sommeil et du bien-être individuel. Ce souci de nos vies conduit tout de même à en établir la traçabilité numérique, sur laquelle le propos revient, rappelant que l’entreprise de Bezos fournit un cloud à la CIA et à la NSA, via Amazon Web Services, la branche la plus rentable du géant américain. En 2017, le film s’inquiétait déjà que les données de la National Health Service, en bonne voie de privatisation, deviennent la cible d’Amazon : la prophétie s’est réalisée, puisqu’en décembre dernier le gouvernement britannique a livré à l’entreprise l’accès complet aux données de santé des citoyens.
On aurait presque envie de sourire en entendant une commissaire européenne à la concurrence, au cours d’une conférence TED, invoquer le mélange explosif entre l’avidité et la peur, dire aussi, en interview, que l’Europe est différente des Etats-Unis, qu’elle a démontré sa volonté d’encadrer le marché (sic) et qu’elle est un des meilleurs endroits où vivre sur Terre. Ici, au moins, on n’a rien à craindre des velléités du Titan numérique. On s’en est encore aperçu ces dernières semaines...
Mais finalement, dans un élan que n’aurait pas désavoué feu Patrick Le Lay, c’est sans doute le sémillant fondateur de Blue Origin qui met tout le monde d’accord sur ses desseins. Commentant les récompenses remportées par la série Mme Maisel, femme fabuleuse, diffusée sur Prime Video, le PDG se fend d’une remarque badine : "Le Golden Globe a permis de vendre plus de chaussures". Sacré Jeff.
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