L’or perdu de Kurosawa
Le 5 septembre 2019
Parabole aussi patriotique que didactique, L’Héritage des 500 000 rappelle les films d’aventures à l’ancienne et bénéficie d’une réalisation certes classique mais efficace : la participation au projet d’Akira Kurosawa en fait toutefois un témoin inestimable de l’art du Senseï.
- Réalisateur : Toshirō Mifune
- Acteurs : Tatsuya Mihashi, Toshirō Mifune, Tsutomu Yamazaki, Tatsuya Nakadai, Mie Hama, Yuriko Hoshi
- Genre : Aventures, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Carlotta Films
- Durée : 1h34
- Titre original : 五十万人の遺産 (Gojūman-nin no isan)
- Date de sortie : 28 août 2019
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Résumé : Durant la Seconde Guerre mondiale, le commandant Matsuo a participé à l’ensevelissement de plusieurs milliers de pièces d’or dans la jungle philippine. Alors qu’il pensait ce trésor enfoui à tout jamais, emportant avec lui le souvenir des cinq cent mille soldats japonais morts sur cette île, voilà qu’un riche homme d’affaires, Mitsura Gunji, lui propose de partir à la recherche du butin. Contraint d’accepter, Matsuo retourne aux Philippines accompagné de quatre hommes recrutés par Gunji…
- Copyright : Toho Co., Ltd.
Notre avis : Tout amateur de cinéma japonais a forcément été saisi par la présence magnétique et le visage expressif de Toshirō Mifune (1920-1997). Il fut non seulement l’acteur fétiche d’Akira Kurosawa le temps de seize films - de L’Ange ivre (1948) à Barberousse (1965), après lequel les deux hommes se brouillèrent - mais tourna également avec Kenji Mizoguchi, Mikio Naruse et Kon Ichikawa, avant de finir sa carrière à l’international (avec John Frankenheimer, John Boorman ou encore Steven Spielberg).
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On sait moins, en revanche, que l’acteur fut également producteur, à une époque où la Toho ne pouvait rien refuser à son acteur vedette, et qu’il mit même en scène en 1963, l’année où il fonda sa société de production, ce qui fut sa seule et unique réalisation, L’Héritage des 500 000. Le film rencontra le succès lors de sa sortie, mais fut ensuite enterré, tant et si bien qu’il fut longtemps impossible d’en trouver une édition vidéo. Or, le long-métrage vient d’être exhumé et restauré par Carlotta Films, afin de sortir pour la première fois dans les salles françaises, en avril 2019.
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Ce qui frappe au premier visionnage, c’est que Toshirō Mifune s’inscrit moins dans la lignée des chefs-d’oeuvre de l’Empereur que du cinéma américain classique : variation sur l’intrigue du Trésor de la Sierra Madre, le scénario de L’Héritage des 500 000 se trouve à la croisée des films noirs, d’aventures et de guerre – il emprunte même au western ses Indiens qu’il remplace par des Igorots. L’intrigue rappelle également l’efficacité narrative des films de commando : une poignée d’hommes est ainsi réunie pour accomplir une mission aussi secrète que périlleuse, qui les confronte à une nature hostile et des ennemis surgissant de nulle part. Tempête, trahison, guet-apens, autant de situations imprévisibles que la patrouille affronte et qui confronte ses membres à leurs propres limites, certes physiques, mais aussi et surtout éthiques.
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Car la nature du trésor de Yamashita investit la mission d’une dimension patriotique et mémorielle : cet or, composé de pièces ironiquement estampillées du kanji désignant le bonheur, a été (du moins selon le scénario, car les historiens le décrivent davantage comme un butin de guerre), emprunté au peuple japonais et symbolise, du fait des conditions dans lesquelles il a disparu, la mémoire des 500 000 du titre, c’est-à-dire les soldats nippons tués aux Philippines durant la Seconde guerre mondiale et, pour la plupart, laissés sans sépulture. Or, l’action se déroule vingt ans après et, tandis que la caméra balaie, grâce au format scope, les superbes paysages des Philippines, le personnage qu’incarne Toshirō Mifune, ancien officier, voit resurgir en lui des souvenirs qu’il avait pris soin d’enfouir au plus profond de son être, et qui vont l’opposer à ses compagnons, soit que la guerre ait fait perdre à ces derniers leur foi en l’homme, soit que, trop jeunes, ils n’aient connu que l’amer goût de la défaite.
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Ainsi, au détour des péripéties picaresques, surgissent des dilemmes moraux et s’affrontent l’idéalisme désenchanté du protagoniste et le cynisme des hommes de main, violents et cupides, qui l’accompagnent et dont il cherche, désespérément, à raviver l’humanité. Et l’épreuve que ces hommes affrontent brouille leurs certitudes en même temps que les nôtres : alors que l’or a toujours permis aux cinéastes de révéler les pires instincts humains, nous découvrons dans le film que les salauds n’en sont finalement pas tant et que même le plus honnête des hommes est parfois contraint de se salir les mains. Film japonais oblige, le récit se refermera toutefois sur la critique d’un Occident corrompu dont le très nippon commandant Matsuo, un homme d’honneur, incarnera, jusqu’à l’ultime instant et malgré le prix à payer, une radicale antithèse.
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Ce long métrage resterait pourtant une curiosité et un plaisant divertissement si un réflexe de cinéphile n’incitait pas le spectateur, averti par la présence de Tatsuya Nakadai (rival à l’écran, mais ami à la ville de Toshirō Mifune), à tenter de déceler l’empreinte d’Akira Kurosawa dans le film de son acteur de prédilection. D’autant que ce dernier lui avait emprunté plusieurs membres de l’équipe de Sanjuro, et qu’on sait que le maître joua le rôle de conseiller pendant le montage, poussant même l’apprenti cinéaste à tourner des plans supplémentaires et notamment des gros plans que, par modestie, l’acteur n’osait pas faire de lui-même. On sait, également, que le montage lui est en grande partie dû, tant et si bien qu’il s’agirait pour certains de la pièce manquante qui permettrait de comprendre l’œuvre du Senseï, son héritage en quelque sorte, enfin retrouvé.
Test DVD/Bluray
En plus de nous faire le cadeau de sortir un inédit en vidéo, Carlotta Films nous propose une édition très complète qui ravira tous les amateurs de cinéma japonais. Chacun pourra, en outre, choisir indifféremment, en fonction de son équipement, la version DVD ou Blu-ray dont les suppléments sont identiques.
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