L’art de la pensée négative - La critique

Cette œuvre, qui cherche à donner une vision inédite des handicapés, n’atteint pas son objectif en raison d’un discours misérabiliste et d’une mise en scène brouillonne.

L’argument : Geirr est trentenaire et handicapé à la suite d’un accident. Sa femme est sur le point de le quitter, cédant devant son mauvais esprit et sa misanthropie galopante. En désespoir de cause et pour lui donner une dernière chance, elle convie chez lui un groupe d’handicapés chaperonnés par une coach pleine de foi en sa méthode positive. Il les accueille à sa manière en leur vidant un extincteur dessus. Dès lors, son entreprise de démoralisation commence. Tous les repères vont exploser, les handicapés vont prendre le contrôle et exclure les valides et leur bonne conscience, se perdant dans une nuit d’ivresse aux vertus inattendues.

Notre avis : Le cinéma norvégien est encore mal connu dans nos contrées, contrairement à celui de ses talentueux voisins suédois et danois. Ce premier long-métrage de Bard Breien ne changera sûrement pas la donne tant il est brouillon et mal maîtrisé. Le thème abordé est pourtant des plus intéressants : il s’agit d’une comédie noire sur la vie d’handicapés représentés de manière burlesque et décomplexée. Le réalisateur souhaite surtout critiquer la pensée positive - une théorie sur le bien-être d’origine américaine - qui cherche des solutions superficielles aux problèmes sans avoir de réflexion sur les causes elles-mêmes. Breien affirme alors haut et fort le droit d’être négatif afin de comprendre et d’accepter son malheur dans un monde qui fuit toute représentation du tragique. Cela donne lieu à de belles séquences absurdes dans lesquelles le coach et son groupe sont déstabilisés par la négativité de Geirr. Le film permet également de traiter de la vie de couple des handicapés, ce qui est tout de même assez rare pour être remarqué.
Malheureusement, le jeune cinéaste développe un point de vue misérabiliste sur ses personnages alors que l’on attendait le contraire. Il accumule les scènes pathos enrobées dans une musique qui souligne avec trop d’insistance le statut désespéré de ses personnages. Les références utilisées par l’auteur sont pourtant sympathiques : le « héros » est un grand fan de Johnny Cash - sa musique vient d’ailleurs embellir la bande-son - et des films sur le Vietnam qui sont pastichés lors de certaines séquences. Mais cela ne suffit pas pour faire un long-métrage : on est souvent dans le pur effet gratuit et référentiel qui n’apporte strictement rien à un récit qui hésite constamment entre la comédie burlesque et le drame. Le plus gros problème résulte de la forme du métrage : le Norvégien a pris le risque de tourner un huis-clos, ce qui nécessite un vrai talent de mise en scène et de direction d’acteur. Or, ces deux conditions ne sont pas réunies, d’autant plus que les interprètes ne sont pas à la hauteur. Le film se termine toutefois de manière beaucoup plus adroite, l’auteur filmant une belle parodie de la scène de la roulette russe de Voyage au bout de l’enfer. Il s’ensuit un grand éclat de rire des protagonistes qui comprennent enfin qu’il faut profiter de la vie malgré leur handicap. Le réalisateur répond enfin à son objectif premier : donner une image inédite des handicapés, loin de toute compassion déplacée. Dommage qu’il faille attendre la fin de cette œuvre pour voir s’accomplir toutes ses belles promesses.