Voyage au bout de la nuit
Le 17 décembre 2014
Tableau fragile et troublant de l’adolescence, L’âge atomique mérite plus qu’un autre d’être soutenu et défendu. Plastiquement étonnant, ce voyage incandescent au bout de la nuit n’a pas peur de proclamer un amour certain pour le cinéma…
- Réalisateur : Helena Klotz
- Acteurs : Niels Schneider, Elliott Paquet, Dominik Wojcik, Mathilde Bisson, Clémence Boisnard
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : Outplay
- Durée : 1h08mn
- Date de sortie : 28 novembre 2012
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- Sortie du DVD : 1er novembre 2014
- Année de production : 2012
Tableau fragile et troublant de l’adolescence, L’âge atomique mérite plus qu’un autre d’être soutenu et défendu. Plastiquement étonnant, ce voyage incandescent au bout de la nuit n’a pas peur de proclamer un amour certain pour le cinéma…
L’argument : Victor et Rainer se retrouvent un samedi soir pour zoner ensemble. Alors qu’ils traversent Paris, les rencontres et désillusions s’enchaînent. Mais tandis que la nuit les emporte, ils s’éloignent de la ville vers la forêt. Dans le silence de la nature, le désir entre les deux adolescents se fait de plus en plus frémissant. De leur amitié naît un nouveau jour.
Notre avis : Comme Jean-Luc Godard (À bout de souffle), comme Maurice Pialat (L’enfance nue), Héléna Klotz s’est vue décerner le prix Jean Vigo pour L’âge atomique, son premier long métrage de fiction – c’était en 2012. Si le parallèle entre ces trois films peut sembler un brin hors de propos, reste néanmoins deux caractéristiques pour les unir : radicalité, modernité. Sans revenir sur les aspects qui font la force des premiers, force est de constater que L’âge atomique, sans prétendre inventer quoi que ce soit, redonne vie avec audace à quelques-unes des formes les plus pures du cinéma. Par opposition à toute rationalité, le film d’Héléna Klotz se veut une peinture du sentiment, un hymne à la vivacité d’esprit. Tout est fait pour revenir au minimalisme de l’affect, à la sensation du monde et de l’espace. Chaque plan, chaque tirade sonne comme une oraison à la nuit noire, comme une veillée incantatoire invitant le monde moderne à se défaire de ses chaînes et de ses certitudes. Tels Verlaine et Rimbaud, Victor et Rainer – adulescents – s’engouffrent dans la nuit parisienne pour y chasser l’ivresse, à la recherche d’une nouvelle façon d’exister. Il faudrait ôter toutes les lumières des villes – abandonner la matérialité – pour retrouver le trouble de la primitivité, assène en substance Rainer dans la dernière séquence de cette cosmique-errance. Il serait réducteur d’affirmer que les deux jeunes hommes mis en scène par Héléna Klotz sont seulement désabusés par le monde qu’ils traversent. Même si leur univers – le nôtre – est bel et bien désenchanté, leur manière de l’appréhender, de le sonder, confine au lyrisme. L’impureté, la bassesse, la déliquescence latentes de cet espace terrestre sont autant d’éléments auxquels Rainer et Victor superposent une poétique, une transcendance. Mais loin d’enjoliver le monde qui les environne, ceux-ci pratiquent un mode de lecture cynique-idéaliste, comme si l’heure était venue de danser sur ses cendres, en attendant l’apocalypse.
Au-delà des apparences, nos deux protagonistes s’avancent donc dans les ténèbres pour y apposer un nouveau jour – mention spéciale pour la scène à la sortie de la boîte de nuit, où Victor affronte un dénommé Théo (Niels Schneider) dans une joute verbale et physique toute socratique. Belle façon de renvoyer l’omnipotence de l’Homme contemporain à ses contradictions. Finalement, même si Rainer et Victor cherchent à éteindre les lumières, c’est pour mieux faire luire la toute-puissance de l’esprit. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Héléna Klotz choisit de teinter l’obscurité grâce à un éclairage artificiel – ici des lampadaires à sodium. Par opposition au matérialisme, elle a construit un monde mental se caractérisant tour à tour par la lumière mauve à l’entrée de la boîte de nuit, ou encore celle bleue-verte dans la forêt. Chaque changement de plan ou de séquence est ainsi l’occasion de définir un nouveau cadre, un nouvel état d’esprit. Partie intégrante de cette lumière, la musique d’Ulysse Klotz participe fortement à caractériser ces tonalités. Deux Canon 1D, neuf jours et un budget minime auront suffit pour réaliser ce précis d’inventivité et de poésie. C’est sans doute ces contraintes qui donnent à L’âge atomique ce côté fragile et néanmoins débordant d’énergie. Combien de chefs d’œuvre réalisés dans des conditions d’urgence et pour principale ressource un désir ardent de renouveau ? Rares sont en tout cas les premiers films à clamer aujourd’hui avec autant d’aplomb la possibilité d’un autre cinéma, affranchi de l’orthodoxie crasse du divertissement. Un programme dont les modulations, à l’heure de l’effondrement des valeurs, ont presque une résonance politique.
Les suppléments
Entretien de la réalisatrice Héléna Klotz avec Romain Blondeau - réalisation Thibaut Fougères
Avec la musique d’intro du film, "Ghetto Boy", en guise de fond sonore, le journaliste et la réalisatrice sont filmés en champ-contrechamp le temps que la piste se termine. Façon de réintroduire d’entrée de jeu le côté contemplatif du film tout en attendant l’interview, qui se déroule - précisons-le - un an après la sortie du film.
La réalisatrice indique avoir un rapport physique avec ses films. Elle a découvert Rainer (Dominik Wojcik) dans un bar, qui parlait pleine lune et Chopin. Quant à Victor (Elliot Paquet), elle était persuadée d’avoir trouvé le bon mais ses essais se sont dans un premier temps mal passés. Elle a alors trouvé un moyen de le rendre ivre pour les reprendre au beau milieu de la nuit. Ce qui s’est avéré concluant pour la suite.
C’est en voyant Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino, ou encore Boulevard de la mort, que la jeune femme a compris l’importance des scènes interminables au cinéma. Cette dimension l’a fortement influencé pour L’Âge atomique. D’où une construction en 7 séquences commençant à un endroit, et finissant à un autre. D’autre part, c’est aussi grâce à ces films qu’elle a choisi de distiller quelque chose de l’ordre du suspense – même s’il ne s’agit pas ici de caractéristiques s’apparentant au thriller. À noter que la cinéaste n’a pas seulement développé ses films pour les acteurs, mais avant tout pour elle, pour cristalliser celle qu’elle était à 18 ans. Chose qu’elle faisait d’ailleurs dans de précédents courts métrages avec des adolescents de 15 ans. La littérature allemande et le romantisme ont été également des éléments déterminants pour développer le scénario.
Klotz a longtemps passé son temps à filmer les autres, ses amis, ses proches. Résultat, elle ne s’appuie non pas sur une expérience du tournage mais sur un feeling du regard. Elle sait observer les autres, les écouter. Cette dernière ne vient pas d’une école de cinéma : son expérience découle de captations pour les cours de théâtre, etc., mais surtout des tournages de son père, Nicolas Klotz.
Elle revient sur la scène sous le pont, où les acteurs "slament", plus qu’ils ne débattent vraiment d’idéologies. Pour elle, ce sont des poses, des styles qui s’affrontent... la finalité est surtout de cogner. La dépolitisation des jeunes est pour elle une forme de lucidité. Comment filmer l’emballement d’une jeunesse ? Pour elle, c’est l’écriture du cinéma qui peut décider de filmer des humeurs – ce qui se travaille au son, à l’image, à la lumière. C’est tout un ensemble de choses qui font qu’un film peut décoller. La mise en scène permet de résoudre l’équation. La dimension d’ultra sensibilité des personnages est une façon d’entrer dans l’ultra-intimité des acteurs, pour les spectateurs. Comme dans les romans de Goethe, qu’elle affectionne profondément, le film a plusieurs degrés et ne doit pas être compris sur un seul plan : parfois, c’est en effet l’humour qui prévaut.
Petite anecdote : la dernière séquence de L’âge atomique renvoie à SuperGrave et Blissfully Yours, que Klotz considèrent comme des chefs-d’œuvre.
Essai des comédiens
Les rushs des prises des principaux acteurs sélectionnés sont balancés dans leur totalité, bruts. L’idée était visiblement de tester les comédiens sur la longueur. On comprend dès lors ce à quoi fait allusion Héléna Klotz lorsqu’elle dit observer les acteurs, les personnes, chercher à les écouter, les comprendre. À noter la prise au cours de laquelle Elliott apparaît visiblement ivre, celle-là même dont parlait la cinéaste en interview.
La scène coupée
Dans les bois, juste avant la dernière séquence, Victor siffle puis se lève. Les feuilles bruissent avec le vent. En vue subjective, Rainer s’avance dans la forêt lampe-torche à la main, haletant. Victor s’arrête près d’un étang pour méditer - le reflet d’un arbre à la Lars Von Trier. Les deux jeunes garçons se recherchent ou se fuient. "Va te faire foutre, Victor", lance Rainer en le retrouvant assis au bord de l’eau. La balade est encore une fois habitée - mention spéciale pour le halo vert illuminant brusquement le haut des arbres et laissant le duo interdit -, mais casse incontestablement le rythme du film, et ne pouvait donc avoir sa place dans le montage final.
L’image :
La qualité de la copie, irréprochable, permet bien de saisir tous les contrastes, et d’apprécier les nombreux changements d’éclairage d’une scène à l’autre.
Le son :
La musique atmosphérique d’Ulysse Klotz, "personnage" à part entière dans sa captation des sentiments, y est sans doute pour beaucoup, mais le son est un régal dans L’âge atomique En soi, la bande originale du film - savant mélange d’électro moderne et de musique contemporaine classique - est sensationnelle. Deux encodages sont disponibles : Dolby Digital 5.1 et 2.0.
© NiZ !
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