Les bêtes humaines
Le 8 novembre 2023
Conte fantastique et morbide, Kuroneko constitue une expérience sensorielle à travers les légendes nippones, la littérature et le cinéma japonais.
- Réalisateur : Kaneto Shindō
- Acteurs : Kichiemon Nakamura, Kei Satō, Eimei Esumi, Nobuko Otowa, Hideo Kanze, Taiji Tonoyama, Kiwako Taichi
- Genre : Drame, Fantastique, Épouvante-horreur, Noir et blanc, Drame fantastique
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Potemkine Distribution
- Durée : 1h39mn
- Reprise: 25 octobre 2023
- Titre original : 藪の中の黒猫 / Yabu no Naka no Kuroneko ("Un chat noir dans un bosquet de bambou")
- Date de sortie : 24 février 1968
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– Reprise en version restaurée : 25 octobre 2023
Résumé : Gnitoki, un samouraï engagé dans l’armée, découvre les corps de sa mère et de son épouse violées et assassinées. Il rencontre deux femmes qui leur ressemblent étrangement. Il s’avère bientôt que ces deux créatures sont les fantômes des défuntes qui cherchent à se venger…
Critique : Figure majeure du cinéma japonais, Kaneto Shindō (1912-2012) était avant tout un scénariste dont les près de deux cent cinquante scripts servirent aussi bien les cinéastes classiques (Keisuke Kinoshita, Mikio Naruse ou celui qu’il tenait pour son maître, Kenji Mizoguchi), que les précurseurs de la Nouvelle Vague (Yuzo Kawashima, Seijun Suzuki, Yasuzō Masumura). Ses réalisations restent moins connues, malgré le succès du film qui le fit connaître à l’international en 1961, L’Île nue, long-métrage radical qui dépeint la dure condition d’une famille de paysans sur une île aride et dont les partis pris formels - esthétique minimaliste, absence total de dialogues - suscitèrent autant d’adhésion que de rejet.
Kaneto Shindō avait déjà fait une incursion dans le cinéma fantastique, avec Onibaba (1965), qui laisse planer le doute sur les pouvoirs du masque de la démone Hannya : dans Kuroneko (1968) (qui, en japonais, désigne un « chat noir »), il s’inspire une nouvelle fois du folklore animiste japonais, pour plonger dans l’horreur mais en réinterprétant cette fois la figure de la kaibyo, fatale femme-chat. Les deux films sont, en outre, liés, puisque l’on retrouve chaque fois un duo constitué d’une mère et de sa belle-fille, à ceci près que, si dans Kuroneko c’est toujours Nobuko Otowa, la propre épouse du réalisateur, qui joue le rôle de la femme mûre, c’est Kiwako Taichi (interprète de nombreux films de yakuzas) qui interprète cette fois sa bru. Et, comme dans Onibaba, le fils de la famille a été enrôlé de force pour partir à la guerre, laissant les femmes sans défense.
De fait, même s’il se déroule à l’époque médiévale, le récit fait davantage signe vers le Japon d’après-guerre : il est ainsi fort probable que Kaneto Shindō ait souhaité faire référence aux crimes barbares que perpétrèrent les soldats japonais lors du massacre de Nankin entre décembre 1937 et février 1938, assassinant femmes et enfants. En filmant ses soldats s’abreuver à quatre pattes, grognant comme des loups errants, le cinéaste explore, de façon plus générale, la bestialité d’hommes qui, dans les périodes de chaos, laissent libre cours à leurs instincts animaux. Mais le film constitue également une allégorie sur la hantise que provoque l’absence prolongée des êtres chers et sur le refus de la mort de l’être aimée, autant de psychoses provoquées par la guerre et auquel Shindō oppose la nécessité de survivre malgré tout.
Tourbillon d’inventions visuelles à l’onirisme halluciné, le film s’appuie sur la scénographie du théâtre japonais : du nō d’abord, dont les espaces ritualisés figurent des franchissements entre l’ici-bas et l’au-delà ; du kabuki aussi et surtout, auquel Shindō emprunte la figure de la kaibyo et dont il s’approprie les harnais pour faire voler ses deux fantômes qu’il rend tangibles. Mais il réinterprète également les classiques du cinéma nippon, les kaiki eiga des années 30 déjà hanté par les femmes-chats, les Contes de la lune vague après la pluie (1953) de Kenji Mizoguchi, dont il reprend le motif de la morte amoureuse, ou encore Rashōmon (1950) d’Akira Kurosawa, dont la porte éponyme est au centre du film.
Le réalisateur n’aborde cependant pas le fantastique comme genre constitué, mais le nourrit des influences du cinéma pink alors inventé par Kōji Wakamatsu, donnant au début du film les allures d’un cauchemar érotique, ainsi que d’une intrigue aux relents œdipiens : mais, s’éloignant aussi et surtout du gothique d’un Nobuo Nagakawa ou du culte Kwaidan (1964), Shindō conçoit son film comme une manière de montée en abstraction comme pour faire suite l’expérience de L’Île nue dont il reprend le noir et blanc contrasté. Longtemps considéré comme un long-métrage mineur, Kuroneko constitue en réalité un film-somme.
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