No man’s land
Le 9 septembre 2012
Plongée dans le quotidien d’un coin de terre kurde, Kurdish lover entreprend les portraits croisés d’un pays, d’une famille et de son auteur même, dans un exercice de dévoilement volontairement impudique. Pour public averti.
- Réalisateur : Clarisse Hahn
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Durée : 1h38
- Date de sortie : 12 septembre 2012
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Plongée dans le quotidien d’un coin de terre kurde, Kurdish lover entreprend les portraits croisés d’un pays, d’une famille et de son auteur même, dans un exercice de dévoilement volontairement impudique. Pour public averti.
L’argument : Avec son compagnon kurde rencontré à Paris, Clarisse Hahn découvre "un pays qui n’existe pas", une zone sinistrée, immobilisée par la guerre et la misère économique, perdue entre tradition et modernité : le Kurdistan. Comme un cousin lointain venu d’ailleurs, le spectateur partage le quotidien d’une famille où l’amour se confond souvent avec l’emprise.
Un quotidien où le paganisme régit le rapport aux choses et à la vie, le magique se mêlant au trivial. Les personnages sont drôles, parfois cruels, souvent d’une grande théâtralité pour oublier qu’ils font partie d’une communauté oubliée du monde.
Notre avis : Issue de la vidéo et de la photographie, solidement implantée dans le paysage de l’art contemporain, Clarisse Hahn expose un peu de sa singularité en salle obscure ; le résultat, forcément, pourra en laisser plus d’un sur le bord de la route, mais témoigne aussi, forcément, d’un regard tout personnel sur le monde qui l’entoure. A mi-chemin entre le portrait de soi et celui d’un pays, Kurdish lover (son quatrième documentaire) radiographie un Kurdistan invisible des radars par le petit bout de la lorgnette, posant sa caméra numérique et orientant son point de vue depuis un village perdu dans les montagnes et les steppes orangées. Le microcosme familial qui y vit, rit, pleure, se débat et s’engueule, c’est celui de son boyfriend Oktay (le ’’kurdish lover’’ du titre), représentatif de tout une nation soumise à des conditions de vie archaïques, entre les feux d’une guerre interminable et un quotidien tissé par des traditions ancestrales.
Il y a, a priori, peu de choses à voir et à filmer dans ce village kurde, et le film se déploie ainsi autour d’un vide initial, cul-de-sac narratif rythmé par des parenthèses documentaires à caractère quasiment anthropologique (séances rituelles, égorgement des moutons, préparation de la cuisine...). Par son œil de vidéaste étrangère, et parfois indésirable (l’accueil que lui réserve certains locaux est violent), Hahn produit aussi un discours sur le statut de ses images – souvent ’’volées’’, mais aux yeux de tous. Kurdish lover ne cache pas sa nature d’objet impudique, à la limite du voyeurisme, mais un voyeurisme qui serait conscient de lui-même, en auto-analyse permanente. Une absence de concessions qui se retrouve dans la forme brute du documentaire, attaché au réel, sans maquillage ni joliesse ; les êtres y apparaissent dans leur plus grande trivialité (la scène des sangsues), duplicité (l’espièglerie de la grand-mère qui essaie de soutirer 50 euros à la nouvelle venue) ou étroitesse d’esprit (le cousin qui s’énerve contre Hahn parce qu’elle ne se soumet pas à l’autorité de son compagnon).
Quand bien même elle resterait soigneusement cachée derrière son dispositif, n’apparaissant que très rarement à l’image, Clarisse Hahn fait aussi son propre portrait de femme occidentale confrontée au choc des cultures et au miroir de sa propre curiosité. « Tout le monde nous baise. Elle aussi elle nous baise avec sa caméra, c’est son godemiché », marmonne une vieille commère mécontente... L’exercice a ses tics, parfois crispants (les engueulades de la famille, cernées par une caméra omniprésente, lassent à la longue), mais sait aussi dépasser ses limites en récapitulant, non sans amertume, tous les écarts qui se creusent entre les communautés, les générations et les êtres. Ces écarts, c’est le ’’kurdish lover’’ du titre qui vient les incarner, lui qui fait le liant entre tous les univers dont il est issu... mais dont il échouera, in fine, à organiser la réunion apaisée, car les barrières qui les séparent sont toujours trop fortes. Objet plutôt mineur dans sa forme et dans sa conception, Kurdish lover, malgré ses défauts, démontre une nouvelle fois qu’une vérité, tout désagréable soit-elle à entendre, peut aussi se formuler dans ses détails, à condition de savoir s’y attacher.
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