Carnets du sous-sol
Le 27 septembre 2010
Un documentaire sombre et oppressant sur la vie d’un appartement communautaire de Saint-Pétersbourg, à travers ses occupants. Par une caméra patiente et persévérante, la photographe Françoise Huguier réussit une peinture magistrale, celle du désarroi de la Russie contemporaine.
- Réalisateur : Françoise Huguier
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : Éditions Montparnasse
- Date de sortie : 24 juin 2009
- Plus d'informations : Le site du DVD
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– Durée : 1h36min
– Date de sortie DVD : le 2 novembre 2010
Un documentaire sombre et oppressant sur la vie d’un appartement communautaire de Saint-Pétersbourg, à travers ses occupants. Par une caméra patiente et persévérante, la photographe Françoise Huguier réussit une peinture magistrale, celle du désarroi de la Russie contemporaine.
L’argument : « Un jour d’automne, je loue une chambre dans un appartement communautaire à Saint-Petersbourg (« Kommunalka » en russe). Je photographie ses habitants. Les années passent, hantée par mes anciens voisins, je décide de revenir filmer leur vie quotidienne. » À travers ces habitants, le film porte un regard sur le quotidien d’un appartement, sur les rapports humains spécifiques qui se développent dans un tel mode de vie. L’appartement communautaire est le lieu de partage d’individus qui vivent ensemble par absence de choix. Un lieu ou l’on s’ignore, un huit clos où s’exposent et explosent les contradictions de l’être humain et celles d’une culture et d’une société russe en pleine redéfinition. Ce mode de vie, intimement lié à l’histoire soviétique de la Russie, n’en reste pas moins d’actualité.
Notre avis : Affalée sur une chaise, Natacha lâche à la caméra des bribes de sa vie en tirant sur un cadavre de cigarette. Teint blafard, bouche sombre surlignée à plusieurs reprises de rouge à lèvres, corps maigre, elle semble échappée d’un film futuriste où les robots se mêlent à l’espèce humaine. Son existence, comme son corps, nous parvient par fragments. Son portrait pourrait être emblématique de la caméra documentaire de Françoise Huguier, laquelle se présente d’emblée implicitement comme une peintre réaliste, davantage qu’elle ne joue au grand reporter. Kommunalka reconstitue, par une série de vues étroites, la totalité des vies intriquées dans les ruines du rêve socialiste, l’habitat communautaire. De l’idéal de droits pour tous et d’égalité sociale, il ne reste qu’un triste renversement : ce sont les plus démunis qui sont contraints d’adopter comme solution définitive ces chambrettes dont ils pensaient au départ ne faire qu’un usage provisoire. Dans la société russe, l’intimité devient un luxe. Par renversement, tout se passe comme si la cinéaste réussissait à recréer, autour de chaque individu, une cellule protectrice de confiance et de dialogue, où hommes et femmes seraient de nouveau capables d’exprimer librement ses angoisses, ses faiblesses, sans sentir sur eux le regard des autres. Car le grand mérite du film est d’accorder une place égale d’une part à la situation de misère sociale dans laquelle sont plongés les protagonistes, d’autre part aux difficultés « morales » que peut engendrer la vie en commun, lorsqu’elle n’est pas choisie mais subie, dans des conditions matérielles difficiles (une douche et une cuisine pour une vingtaine de locataires)...
La puissance de Kommunalka provient en partie de l’habileté avec laquelle le film construit autant de lucarnes que d’habitants au sein de l’appartement. A ce titre, il n’est pas étonnant que ce film soit le fruit moins d’une découverte que d’un retour (Françoise Huguier avait effectué un premier séjour dans cet appartement, pris des photos, conversé avec les locataires...). Si les créateurs restent quasiment invisibles et inaudibles tout le long, dans une discrétion extrême, la relation qui se noue avec la communauté est pétrie de confiance et d’écoute. L’impression dominante est dès lors celle d’une immersion dans la noirceur, mais aussi parfois la facétie quotidiennes des individus ; les séquences les plus intrigantes réussissent à sortir du dispositif toujours un peu artificiel de l’entretien, pour capturer des moments de relâchement, voire d’abandon. Dans une scène magnifique et troublante, Natacha, la poupée mi-rêveuse mi-paumée, laisse parler son désir pour l’image télévisuelle du boxeur Mike Tyson, devant le poste installé dans sa chambre. On pourrait presque craindre que le film, ignorant délibérément tout horizon extérieur à l’appartement, finisse par s’alourdir du poids de son pessimisme ; car au dehors il y a encore une vie, à laquelle rêve peut-être Natacha en finissant sa cigarette.
Le DVD
Après un passage plutôt discret en salles en 2009, c’est un vrai plaisir de pouvoir apprécier ce documentaire à sa juste hauteur en DVD, grâce à une édition sobre qui donne envie de suivre le travail de Françoise Huguier.
Les suppléments
Malheureusement, aucune information supplémentaire, ni sur le travail plastique de Françoise Huguier ou la genèse du film, ni sur la situation des appartements communautaires en Russie ; un court-métrage de 4 minutes, plutôt réussi et de forme plus libre, accompagne le long-métrage documentaire.
Image
Le DVD fait honneur à la photographie travaillée du film, avec un grain léger et une colorimétrie équilibrée, qui font clairement sortir Kommunalka de la catégorie des "reportages".
Son
Une seule piste audio disponible (Stéréo), avec choix de sous-titres (anglais ou français). Là encore l’édition DVD est attentive au travail très précis de la prise de son, mais avec un mixage un poil trop sensible sur les bruits d’ambiance, qui peut parfois gêner l’écoute dans les séquences d’entretiens.
Galerie Photos
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