Le 29 janvier 2015
Au prix de quelques conventions, on peut s’immerger dans un monde peu connu et suivre une prestation d’actrice exceptionnelle.
- Réalisateur : Ilmar Raag
- Acteurs : Ursula Ratasepp, Mait Malmsten
- Genre : Drame, Romance
- Nationalité : Estonien
- Durée : 1h38mn
- Date de sortie : 4 février 2015
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Au prix de quelques conventions, on peut s’immerger dans un monde peu connu et suivre une prestation d’actrice exceptionnelle.
L’argument :Sur la petite île de Sareema en Estonie, Kertu, 30 ans, vit chez ses parents sous l’emprise d’un père despotique. Lors d’une fête de village, elle se rapproche de Villu, un homme à la dérive. Cette rencontre va bouleverser sa vie…
Notre avis : On pourrait raconter Kertu en s’attachant aux mains des personnages ; il y aurait la main du père, menaçante ou violente, la main de Kertu, crispée qui apprend à se détendre ; les mains craintives des mères et celles, tendues, de Villu qui se font caressantes. C’est l’une des forces du film que de regarder au plus près, dans le détail ces hommes et ces femmes se débattre dans un tissu de craintes et d’étouffements. Le cadre insulaire, fait de petits villages où tout le monde se connaît, ajoute à cet enfermement : tout est regardé, jugé, admis ou refusé par une communauté sclérosée. Ilmar Raag choisit de raconter cette histoire, relativement simple, en la morcelant : les séquences sont courtes, très découpées et jouent sur le montré et le caché, comme les personnages eux-mêmes sont bloqués par la difficulté de verbaliser. Ce sont donc des silences entêtés, et surtout l’omniprésence des regards qui pallient les non-dits. Tout se voit, tout se sait : nombre de séquences se passent devant un « public » ; le film commence d’ailleurs par le regard de Kertu sur Villu, dans la peur d’être découverte par son père.
Kertu est d’abord un film de personnages : sans tomber dans le manichéisme, Raag, qui a également écrit le scénario, développe des itinéraires individuels, tous liés à l’héroïne. Il faut le souligner, l’interprétation est exemplaire. Ursula Ratasepp, qui incarne la jeune femme, livre une performance remarquable, sans démonstration ostensible comme le ferait une candidate aux Oscars. Les autres acteurs sont au diapason, jouant d’expressions et de gestes précis, largement signifiants, pour rendre l’âpreté de ce monde et l’absence de communication. L’interprète du père, en particulier, est un modèle de retenue dans un rôle qui pouvait tourner à la caricature, ou du moins à l’univocité.
© D.R.
Évidemment, pour qu’il y ait une histoire, il est important qu’il y ait un obstacle et une évolution. L’obstacle est au moins double : d’une part, la déficience légère de Kertu, qui la place sous la dépendance ambiguë de sa famille ; d’autre part, la mauvaise réputation de Villu, ivrogne et séducteur immoral. L’évolution, c’est évidemment – et encore !- une affaire de rédemption pour l’homme, d’affranchissement pour la femme. Comment ces deux laissés pour compte peuvent se construire un avenir, voilà l’enjeu narratif, qui plombe un peu le film par des clichés (ah ! Le lever de soleil sur les amants épanouis !), des scènes trop prévisibles, et la dramatisation par la maladie participe de notre impression de trop-plein, de déjà-vu. Parfois le traitement sauve la mise : les scènes d’hôpital, dans leur froideur aseptisée, ne peuvent que produire un malaise patent. Et l’attention aux détails (les mains, évidemment, mais aussi une boite de biscuits ou un calendrier) ancre Kertu dans une réalité sobre et poignante. Car, il faut bien l’avouer, l’autre atout du film, c’est l’émotion qu’il suscite : sans excès mélodramatiques, sans grandes tirades, sans larmoiements, Raag parvient à nous attacher à ses personnages, et, au final, l’empathie l’emporte sur nos préventions et nos agacements.
Voici donc un petit film marqué par des défauts évidents mais qui deviennent véniels face à l’engagement des comédiens au service d’une histoire âpre, sèche, brutale. Le sourire de l’héroïne, qui apparaît tardivement, est l’un des plus beaux et des plus émouvants qu’il nous ait été donné de voir depuis longtemps.
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