Le 8 juin 2020
Un récit osé, courageux et fougueux, filmé sur le fil, comme un pied de nez à la bien-pensance. Parfois un peu trop bavard ou excessif, mais sans conteste, jamais vide.


- Réalisateur : Nadir Ioulain
- Acteurs : Moussa Maaskri, Jimmy Jean-Louis, Olivier Rabourdin, Delphine Chanéac, Sofiia Manousha, Steve Tientcheu, Farid Larbi, Tony Harrisson
- Genre : Thriller, Drame social
- Nationalité : Français
- Durée : 1h09mn
- Date de sortie : 9 juin 2020
- Plus d'informations : En VOD sous VIMEO

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Résumé : Un chauffeur de taxi conduit un client vers la destination qu’il lui indique. Pendant ce voyage, on découvre à travers leur conversation que ce chauffeur est un policier qui a perdu sa femme et sa fille à cause d’un attentat et que ce client est un extrémiste qui s’apprête à en commettre un autre… Tous les deux de religion musulmane échangent leur point de vue sur l’implication de leur foi dans la société qui les entoure… Et si ces deux personnages n’étaient en réalité qu’un seul et même homme tiraillé et troublé, s’interrogeant sur ce que doit être son comportement dans ce monde.. ?
Critique : Parler de l’aveuglement terroriste est sacrément casse-gueule. Voilà pourtant le projet de ce jeune cinéaste, Nadir Ioulain, qui, dans son premier long-métrage, entièrement auto-financé, donne la voix à des rescapés du terrorisme et des combattants aveuglés par leur illusion. Deux points de vue s’opposent à travers ce policier musulman qui a perdu sa fille et ce jeune homme dont les parents sont chrétiens et qui s’apprête à tuer. Et derrière, une voiture remplie de flics qui écoutent la discussion entre les deux hommes et tentent de mettre fin à ce désordre.
- Copyright Renaud Konopnicki
Entre le film d’animation, le thriller spirituel, Jungle Jihad est d’une indéniable originalité. Le propos surprend avec l’opposition entre le discours de la victime et celui du coupable. On pressent dès les premières minutes que le rapport de force va s’inverser. Le réalisateur assume la théâtralité comme un moteur narratif avec un lieu unique (une voiture), le temps d’une nuit et une exubérance des dialogues. Il y a de l’excès, des maladresses bien sûr. Il y a surtout le courage d’un jeune auteur qui aborde un sujet hautement sensible, dans un brouhaha de pneus qui crissent et de musiques susurrées du bout des lèvres. Cette inversion des rapports de force fait penser, toute proportion gardée, au théâtre de Nathalie Sarraute où, d’un mot, les événements se retournent. Nadir Ioulain ose même accompagner son récit d’un saxophone sensuel, à l’instar des films noirs des années 80. On parle beaucoup (trop) de religion, on parle surtout d’aveuglement et de désespoir.
- Copyright Renaud Konopnicki
Le cinéaste se revendique du Petit Prince et du grand film de Kassovitz La Haine. Il y a sans doute un peu d’orgueil dans ces références, d’autant que les dialogues entre les deux protagonistes se perdent parfois dans des excès langagiers ou philosophiques. Mais il ne faut pas s’arrêter à cela. Le film parle de l’horreur de la discrimination, de la défiance de la République à l’égard de ses combattants d’Afrique, de la pauvreté qui tient la banlieue sous contrôle. Le film parle aussi d’amour, d’une existence qui pourrait être autrement, si d’un côté des victimes ne se faisaient pas exploser la vie et de l’autre côté, si des hommes et des femmes ne commettaient pas l’irréparable. Nadir Ioulain brandit la littérature et la grandiloquence du verbe, pour témoigner de l’impossibilité à vivre sereinement dans l’aveuglement et le rejet.
- Copyright Renaud Konopnicki
Il faut saluer la bande-son particulièrement dense qui traverse le film. On passe du rap sifflé du bout des lèvres, au jazz, au piano, à la flûte andalouse ou au chant maghrébin avec beaucoup de fluidité. La photographie ne démérite pas avec ces couleurs bleues et nuitées. Certes, le long-métrage ne parvient pas à totalement dissimuler la pénurie de moyens, mais indiscutablement, il y a chez ce jeune réalisateur, un point de vue fort qui ne laisse pas insensible. On ne peut que lui souhaiter de trouver un producteur affûté qui saura donner un peu de nuances et de dépouillement au propos. Car ce cinéma a sûrement à gagner en continuant de chanter les auteurs qui accompagnent le réalisateur, sans jamais trop les crier.