Jess Franco ou les prospérités du bis - la critique du livre d’Alain Petit

Notre avis : L’auteur Alain Petit est bien connu des amoureux de cinéma bis. Les plus anciens se souviennent de ses contributions éclairées aux revues L’Écran fantastique et Mad Movies dans les années 80, mais aussi son apport fondamental dans des fanzines de qualité tel que les Manacoa Files. Les plus jeunes connaissent son visage pour ses interventions aussi fréquentes que pertinentes dans les bonus des éditions DVD de la maison Artus, également à l’origine de ce livre. Le présent ouvrage est donc le fruit de plus de trente ans de travail, un bébé nourri à la passion d’un homme qui fut tout à la fois un admirateur de Jess Franco, mais aussi un collaborateur sur quelques scripts dans les années 70 ainsi qu’un ami du bonhomme. Cette proximité avec le cinéaste n’empêche aucunement Alain Petit de faire preuve d’un certain recul dans le jugement qu’il porte sur les œuvres du cinéaste iconoclaste. Certes, on sent bien une certaine indulgence vis-à-vis de certains rejetons pas fameux, notamment à cause des mutilations intervenues lors de leurs sorties, mais rien de bien méchant. Ainsi, l’auteur n’hésite aucunement à exécuter des pellicules aussi indéfendables que Mondo Cannibal ou L’abîme des morts-vivants. Tant mieux, cela rend d’autant plus crédible le reste du bouquin.

Réédition de nombreux textes déjà parus sous forme de fanzines désormais introuvables, Jess Franco ou les prospérités du bis ne se propose aucunement d’analyser les films de Franco – ce qui est précisé dès l’introduction – mais se place davantage dans une optique historique et factuelle, ce qui représente déjà un travail monstrueux lorsque l’on connaît la complexité de la jungle franquienne. Ainsi, il a fallu distinguer chaque film l’un de l’autre, sachant que chaque rejeton a fait l’objet de montages différents en fonction des marchés. Alain Petit, aidé par le réalisateur lui-même, a réussi à démêler la plupart des mystères entourant la filmographie d’un cinéaste ayant œuvré sous des dizaines de pseudos, quand celui-ci n’a pas tourné deux à trois films en même temps, parfois entremêlés lors des montages effectués par des producteurs peu scrupuleux.

Le livre nous plonge ainsi au cœur du cinéma d’exploitation, avec ses heures de gloire, mais aussi ses coups fourrés, ses remontages barbares dans le dos des auteurs, ses caviardages X d’œuvres sérieuses afin de satisfaire le voyeurisme du public, voire l’appropriation de scènes entières d’un film pour en compléter un autre. Autant de pratiques honteuses qui furent monnaie courante aux temps de gloire de compagnies comme Eurociné. Pour cela, le livre se divise en plusieurs chapitres qui donnent une vue d’ensemble de la carrière du cinéaste. Alain Petit s’intéresse d’abord aux talents multiples de Jess Franco, à la fois scénariste, chef opérateur, musicien et comédien de bon nombre de ses films. Il expose ensuite ses rapports avec ses producteurs, ainsi que ses démêlés avec la censure franquiste.

Le chapitre sur ses rapports avec Orson Welles est également passionnant et explique mieux l’implication de Jess Franco dans la restauration du Don Quichotte du maître américain effectuée au début des années 90. Le livre se poursuit par de nombreux entretiens avec le cinéaste, mais aussi avec ses collaborateurs les plus proches. Le dico Franco permet ensuite de mieux connaître les carrières des différents membres de la famille Franco. Enfin, la dernière partie de l’ouvrage est consacrée à l’intégralité d’une filmographie commentée par l’auteur. Si l’enchaînement de près de 250 critiques peut paraître un peu rébarbatif de prime abord, cela permet de dresser un portrait en creux d’une carrière marquée par une boulimie filmique rarement égalée dans l’histoire du cinéma.

Si l’on ajoute à cela une riche iconographie avec de nombreuses photos d’exploitation, des affiches pour quasiment tous les films, y compris les plus obscurs et introuvables, on comprendra que ce livre de 750 pages est absolument incontournable, non seulement pour les amateurs du cinéma de Franco, mais aussi pour tous les amoureux de cinéma bis et d’exploitation. Enfin, cerise sur le gâteau, un DVD d’Opération lèvres rouges, deuxième long-métrage très rare de Jess, vient s’ajouter à un livre déjà formidable. Certes, il ne s’agit pas du film le plus emblématique du cinéaste, mais l’intention est carrément louable. Cela vient parfaire l’impression de se trouver face à une œuvre ultime sur le cinéaste. Un bien beau bébé dont Alain Petit peut légitimement être très fier.