Le 16 janvier 2016
Premier documentaire d’Anna Roussillon, Je suis le peuple est transcendé par une sensibilité admirable.
- Réalisateur : Anna Roussillon
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Durée : 1h51mn
- Date de sortie : 13 janvier 2016
- Festival : Festival de Cannes 2015
L'a vu
Veut le voir
Empreint d’une profonde empathie, Je suis le peuple rend leur humanité à des êtres réduits, par une exposition médiatique aussi crue que biaisée, à l’état de fragments d’une masse informe, hurlante et vindicative.
L’argument : Anna Roussillon est née à Beyrouth et a grandi au Caire. Au fil des années, elle s’est liée d’amitié avec Farraj, un agriculteur des environs de la ville de Louxor (située à 700 kilomètres du tumulte de la place Tahrir). Pendant 3 ans, la néo-documentariste, débarrassée de la barrière de la langue et instaurant une relation de confiance avec ses interlocuteurs, a filmé de manière ponctuelle la cellule familiale et le village de l’homme. Partie pour réaliser un film sur les conséquences du tourisme de masse, elle portera, au gré de l’instabilité politique égyptienne, la voix de différents anonymes du peuple - souvent occultés, mais intrinsèquement liés à une démocratie balbutiante…
Notre avis : Quelles images gardons-nous du Printemps Arabe ? Celles de foules excédées, victimes malgré elles d’une iconisation perverse. Celles d’agglutinations d’individus assoiffés de liberté, dont nous saluions - avec une condescendance quasi néo-colonialiste - la hargne et la volition... Dès les premiers instants de son documentaire, Anna Roussillon brise ces repères (factices) en soulignant la légèreté, voire la familiarité des échanges qu’elle a avec ceux qu’elle filme : le village jouit, malgré sa pauvreté, d’une certaine quiétude, et ses habitants, loin d’être des monstres de révolte, ironisent, discutent, travaillent et regardent la télévision… comme tout un chacun. D’emblée, Je suis le peuple se veut immersif, et l’estime liant la documentariste à ses amis (avant d’être ses sujets) engendre une certaine liberté de ton tout en favorisant l’apparition de traits d’humour qui ponctuent l’œuvre. Construit à la mesure des déplacements d’Anna Roussillon en Egypte, le film s’est structuré autour des évolutions politiques subséquentes au « Vendredi de la colère » ; mais plutôt que de traiter de la révolution, la documentariste examine ses conséquences et les réactions qu’elle suscite. Presque malgré elle, Anna Roussillon transcende, en adoptant ce point de vue, plusieurs aspects fondamentaux de la démocratie : l’importance de l’opinion du plus infime des individus, le poids que cette dernière peut avoir, la propension du citoyen à voir sa pensée évoluer... Et la chanson éponyme d’Oum Kalthoum, dont le titre fut l’un des slogans des révolutionnaires de la place Tahrir, de prendre tout son sens.
Aussi effacée (on ne la voit jamais) qu’omniprésente (parce qu’elle semble faire partie intégrante de la routine de Farraj, de son épouse Harajivyé, et du reste de leur famille), Anna Roussillon offre, via l’éloquence de certaines discussions qu’elle mène avec les habitants du village, une colonne vertébrale à son film. Tantôt complice, tantôt contradictrice, elle suscite certaines réactions aux méandres de la vie publique égyptienne chez des citoyens de l’arrière-pays, partagés entre indifférence et éveil de leur conscience politique. Si l’éloignement géographique et la propagande des partis émergents entraînent, pour certains d’entre eux, l’adoption d’une posture de recul, le tumulte de la capitale n’est pas sans influence sur leur existence… La documentariste capture avec minutie les débats de ces habitants pauvres de la vallée du Nil, qui rêvent tous d’un monde meilleur tout en se préoccupant, in fine, de leurs intérêts personnels. Ces éléments, couplés à la familiarité du documentaire et à certaines remarques de Farraj au sujet de la démocratie occidentale, favorisent l’implication émotionnelle du spectateur, et c’est sans doute le tour de force majeur de l’œuvre.
Monté avec maestria par Saskia Berthod, Je suis le peuple jouit d’un équilibre subtil entre intimisme et exhibitions factuelles (les deux étant liés jusque dans leur essence). Portés par une fluidité notable, les sections choisies exhortent aussi bien les joies et les peines, les espoirs et les doutes… tout en exposant, aussi discrètement qu’efficacement, les sinuosités d’une société égyptienne mortifiée. Tout se joue entre sincérité, réalisme, et postures exacerbées par le fait d’être filmé : il existe, bien qu’il soit larvé, un jeu entre cette caméra ubiquiste et l’importance de la télévision, source de joie pour la famille… Ayant conscience de la tribune qu’on leur offre, les habitants des environs de Louxor, hommes, femmes et enfants, oscillent entre excès démonstratifs et acuité de leurs réflexions. Des tableaux se dressent, la sympathie des êtres capturés crève l’écran, et une humanité profonde est communiquée par l’œuvre... Malgré quelques longueurs, Anna Roussillon livre - avec maestria - un premier documentaire d’une délicatesse rare, et ce ne sont pas les récompenses reçues, ni l’adoubement du film par l’ACid à l’occasion de la dernière édition du festival de Cannes, qui prouveront le contraire.
_
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.