Filmer son ennemi
Le 6 novembre 2024
Ne cédons pas au silence ni à l’amnésie, nous portons nos morts comme nos ennemis : tel pourrait être un enjeu de ce film étrange, bancal, fascinant.
- Réalisateur : Halkawt Mustafa
- Genre : Documentaire, Historique, Politique
- Nationalité : Norvégien, Irakien
- Distributeur : Golden Afrique Ciné
- Durée : 1h36mn
- Âge : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
- Date de sortie : 6 novembre 2024
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Résumé : Face à une caméra, assis par terre, Alaa Namiq, un fermier irakien, raconte son histoire. Un jour, il y a plus de vingt ans, il a reçu la visite d’un invité inattendu qu’il a dû cacher à sa famille, à ses amis et à 150 000 soldats américains. Cet invité était le président Saddam Hussein.
Critique : « Le cinéma est fait pour filmer des relations. » (Jean Louis Comolli)
Lorsque dans la nuit du 12 au 13 décembre 2003 l’armée américaine a capturé Saddam Hussein, Halkawt Mustafa avait moins de six ans. Et pourtant, il connaissait déjà jusque dans sa chair les réalités de la dictature du Raïs. Arraché à son pays par la guerre de destruction que faisait subir le dictateur à tout irakien kurde, le jeune Halkwat va connaître le destin de tout enfant déporté. L’exil, ici en Norvège, tout comme le statut de réfugié, mais aussi et très certainement la rage de vouloir en découdre avec cette réalité subie.
Une fois adulte, il devint journaliste reporter, couvrant les guerres du Moyen-Orient, notamment à Gaza, en Syrie et en Irak. Avec vissée en lui cette obsession qui ne l’a pas quitté depuis décembre 2003 : retrouver celui qui a osé cacher Saddam Hussein.
- © 2024 Golden Afrique Ciné. Tous droits réservés.
Hiding Saddam Hussein n’est pas sa première réalisation. Producteur et cinéaste, il a déjà réalisé des fictions romanesques sur les aléas de la vie des Kurdes en exil (Red Heart en 2011, El clásico en 2015). Mais avec ce troisième long métrage, il se retrouve comme coi, car rien ne peut véritablement être saisi par sa caméra, comme on saisirait une proie, tant le réel ne peut que lui échapper. C’est la sublime fatalité de ce film : il vient trop tard, le trou dans lequel Saddam fut caché durant plus de deux cents jours est bouché, le dictateur est un souvenir, et son corps disloqué par la pendaison. Et il n’y a plus rien si ce n’est le récit. La vertu des récits, ancestrale puissance d’évocation de nos temps impérieux, qui ne cessent de revenir, telles des alarmes telluriques. Ne cédons pas au silence ni à l’amnésie, nous portons nos morts comme nos ennemis : telle pourrait être aussi l’autre enjeu de ce film étrange, bancal, fascinant et presque dangereux...
Mabuse chez Fritz Lang nous avait pourtant déjà alertés, fascinés. La puissance quasi érotique des puissants ne cesse pas d’attirer encore aujourd’hui des millions de gens convaincus par leur nouveau messie, qu’il soit d’Amérique (Donald Trump) ou de Corée (Kim Jong-un). Comment dès lors regarder ce film leurre qui ne cesse de convoquer un Saddam Hussein qui n’existe que dans le souvenir d’un homme brisé et pourtant si digne ? C’est ainsi que pendant quatorze ans, le cinéaste a cherché à recueillir la parole de Alaa Namiq, ce fermier irakien qui avait caché Saddam Hussein après sa chute.
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Mais que peut le récit d’un fermier quand Google prétend tout vous dire, tout savoir ?
Les ruses de l’homme ont toujours été plus fortes que la technique, souvenons-nous du cheval de Troie imaginé par Ulysse. Ici, c’est un autre leurre, un tunnel dans la terre qui deviendra l’antre du dictateur durant de longs mois. La cruauté du réel est dans cette absurdité, celle du renversement des positions de chacun. Alaa, alors même qu’il a connu le pire (torturé dans la tristement célèbre pridon d’Abou Ghraib), reste encore comme stupéfait d’avoir été celui qui ordonnait la vie du Raïs. Nul esprit de revanche chez cet homme, au contraire, et c’est une des énigmes du film pour tout esprit cartésien occidental. Comment la soumission relève non d’une faiblesse mais d’une éthique de vie. Soumission à un ordre totalitaire, évidemment, c’est la tragédie d’un peuple qui s’exprime aussi dans l’humilité de cet homme, mais aussi et surtout soumission à la dignité. Ne jamais traiter autrui comme son inférieur, aussi pathétique soit-il.
L’apaisement de Alaa est ce qui demeure de plus admirable, et peut-être ce que le cinéaste recherchait avec autant d’ardeur depuis si longtemps : cette paix de l’âme pour enfin, véritablement, enfermer à jamais ce passé dans le registre du conte.
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