La fureur de courir
Le 11 avril 2016
Passionnant documentaire sur l’émergence de la course à pied des années 60 à aujourd’hui.


- Réalisateur : Pierre Morath
- Acteur : Philippe Torreton
- Genre : Documentaire, Film de sport
- Nationalité : Français, Suisse, Belge
- Distributeur : Jour2fête
- Durée : 1h39mn
- Date télé : 6 août 2024 21:45
- Chaîne : L'Équipe
- Date de sortie : 13 avril 2016

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Résumé : Des rues de New York aux sentiers des Alpes suisses, hommes et femmes, champions ou anonymes… Ils sont chaque année des dizaines de millions à courir. La course à pied était naguère considérée comme une activité quasi marginal réservée aux athlètes masculins et à l’enceinte des stades. Le documentaire retrace la fabuleuse épopée de ce sport solitaire devenu passion universelle. Un hymne à la gloire de la course libre et de ceux qui la font exister.
Critique : En s’appuyant habilement sur un mélange d’images d’archives et d’interviews, ce documentaire aborde avec passion la démocratisation de la course à pied des années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Il parvient à dépasser la niche des coureurs, grâce à sa volonté exquise de fouler le sol hors des sentiers battus.
L’athlétisme, trop rarement présent au cinéma, est dans la plupart des œuvres de fiction abordé de manière mélodramatique et malhabile. Souvent peu cinégéniques ou irréalistes (Les chariots de feu, Le vainqueur…), ne transmettant pas la passion inhérente à ce sport (Ralph, La ligne droite), les résultats sont stéréotypés et pleins de bons sentiments. Le documentaire Free to Run rend, quant à lui, un émouvant hommage au running en partant de la révolution sociale dont il a été le symbole au cours des années 60. En effet, cela peut surprendre car il est difficile de s’imaginer aujourd’hui qu’une discipline aussi naturelle n’ait pas toujours été ouverte à tous et qu’il a fallu mener un combat social acharné afin d’acquérir cette liberté de courir.
Le réalisateur suisse Pierre Morath, ancien coureur de haut niveau et aujourd’hui coach et consultant pour la télévision, apporte un regard éclairé sur ce sport. Sa connaissance et sa passion du milieu se ressentent indéniablement à travers son film, trouvant un juste milieu entre une portée instructive et un côté euphorisant qu’il dégage. Véritable panorama d’un demi-siècle, le long métrage met en lumière les pionniers à l’origine de la démocratisation et de la popularisation du running. Grâce à la détermination de ces héros célèbres (Steve Prefontaine) ou plus anonymes (Fred Lebow, Noël Tamini, Kathrine Switzer), la liberté de courir a triomphé face au conservatisme et idées préconçues. Aussi inconcevable que cela puisse paraître, on apprend par exemple que jusqu’à la fin des années 60, les femmes n’avaient le droit de courir plus de 800 mètres, ou encore que le marathon ne leur fut autorisé qu’au début des années 80. La course fut même déconseillée par les experts médicaux, avertissant qu’elle « réduirait l’espérance de vie de 20 à 40 ans », et risquait de provoquer un « décrochage de l’utérus ». Free to Run fourmille de ces détails historiques surprenants et désormais méconnus.
On voyage dans le passé mais aussi le monde, arpentant les rues de New York et les Alpes suisses qui ont vu apparaître les premiers coureurs. Ces « excentriques » ou « rebelles », animés du désir de courir libre et sans enjeu de compétition, ont permis de changer les mentalités et d’initier un phénomène de société. Free to Run bénéfice d’un récit fluide et rythmé grâce à l’alternance entre images d’archives et témoignages. On part à la rencontre de Noël Tamini, fondateur du premier magazine international de running intitulé Spiridon qui fut l’emblème de la liberté prônée à l’époque. Le marathon sert également de fil rouge, avec entre autres l’interview de Kathrine Switzer, première femme à avoir couru le 42 km en 1967, époque où les femmes n’y étaient pas encore autorisées.
Au-delà de l’aspect historique et informatif, il est intéressant de voir le lien existant entre la course et la notion économique, fortement lié à son évolution. Le point de départ de cette période prend appui sur l’émouvant portrait du champion américain Steve Prefontaine, contraint de vivre dans une caravane car ne gagnant pas suffisamment d’argent, qui s’improvisa comme porte-parole des coureurs et de l’égalité avec les athlètes professionnels des autres sports. Sa carrière rencontrera une petite entreprise naissante, du nom de Nike.
Free to Run prolonge intelligemment la question économique jusqu’à évoquer la limite en termes d’éthique, touchant à la fois la discipline sportive et l’essence même du coureur. Il est fascinant de voir l’accaparement de ce sport, passé de marginal à populaire, par les marques et l’exploitation commerciale qui en a été faite. Né d’un mouvement de liberté, il a progressivement dérivé vers un mouvement consumériste et matérialiste. Exit les footings en forêt pour le simple plaisir, au profit d’achats personnels de produits plus performants, plus variés, plus connectés, dans le but de participer à des courses urbaines devenues de plus en plus coûteuses chaque année.
Par l’intermédiaire de ce documentaire passionné et passionnant, Pierre Morath nous montre comment le running a participé à de profonds changements sociaux au cours des dernières décennies. Il met à l’honneur l’apport ce sport, comme l’authentique reflet de notre société.