Le 30 août 2018
Le documentaire de Tarquin Ramsay propose une réflexion sérieuse sur un droit aujourd’hui menacé dans nos sociétés dites démocratiques.
- Réalisateur : Tarquin Ramsay
- Acteur : Jude Law
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Britannique, Allemand
- Distributeur : Jupiter Films
- Durée : 1h19min
- Date de sortie : 5 septembre 2018
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Résumé : L’Homme peut-il vraiment être libre sans une totale liberté d’expression ? Est-elle l’oxygène de notre société ? Le film va au cœur de ce qu’est réellement la liberté d’expression et de son impact sur notre quotidien. Jacob Appelbaum, Julian Assange, Sarah Harrison, Jude Law et Jérémie Zimmermann (« La Quadrature du Net ») évoquent les enjeux et l’importance de ce droit fondamental fortement remis en question aujourd’hui, notamment en Occident. Sans cette liberté essentielle, il n’y en a pas d’autres possibles.
- Copyright Fear Free Films/Niels Ladefoged
Notre avis : Qu’est-ce que la liberté d’expression et quels usages peut-on en faire ? Ce sont les deux questions auxquelles tente de répondre ce documentaire, qui multiplie les points de vue, car on comprend qu’une notion aussi complexe ne saurait se réduire à une seule définition. On pourrait même dire que le simple fait de circonscrire le sens de la liberté d’expression est une manière de l’atteindre en son coeur : voilà pourquoi la variété des intervenants (activistes, acteurs du monde culturel, lycéens, hackers) témoigne d’une vitalité particulièrement réjouissante, qui associe le geste à la parole. Ainsi, lorsqu’un citoyen armé d’un mégaphone, enjoint la population londonienne à multiplier les hugs envers la police, il démontre que la proposition ne va pas de soi pour les forces de l’ordre : sinon, on ne lui passerait pas les menottes aux mains.
La scène illustre l’absurdité propre à une réaction fébrile : les hommes que l’on voit et qui maintiennent l’ordre de l’Etat ne savent pas précisément au nom de quoi ils agissent. Dès lors, une question affleure : qu’auraient-ils fait dans un régime oppressif ? Heureusement pour eux, ils ne vivent pas en Biélorussie, pays trop souvent oublié, dernière dictature d’Europe, qui continue, depuis des années, à bafouer les droits humains. Le documentaire évoque la situation des opposants politiques au sinistre Loukachenko, dont la violence et les méthodes n’ont rien à envier à celles de Kim Jong-un.
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La mise au pas culturelle du pays, qui interdit d’évoquer des sujets sensibles pour le pouvoir (la question des minorités religieuses, sexuelles, la Seconde Guerre mondiale), a provoqué une fronde salutaire, celle du théâtre libre de Biélorussie, lequel continue de monter des pièces, en dépit de la pression des autorités. Acteurs et techniciens de la troupe l’ont, jusque-là, payé très cher : arrestations et tortures ont émaillé le parcours d’un certain nombre d’entre eux.
Mais nos démocraties occidentales, plutôt enclines à incarner l’humanisme pour lui donner une vocation universelle, n’ont pas spécialement de leçons à prodiguer, elles qui s’en prennent à des lanceurs d’alerte : l’ancien agent de la CIA, John Kiriakou, a compris à quel point la révélation des pratiques de tortures sous l’administration Bush, à la fois en Irak et en Afghanistan (sans compter Guantanamo), appartenait à ces provocations qu’un Etat, soi-disant de droit, ne peut supporter. Assigné à résidence, il constate que ses allées et venues sont scrutées, le but étant de le prendre en faute pour le renvoyer en prison. Témoignant face à la caméra, Kiriakou note que les inflexions provoquées par le Patriot Act, le recul des libertés fondamentales, marquent d’une certaine façon la victoire de Ben Laden.
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D’autres propos dissidents s’expriment, comme ceux de Julian Assange et de Jacob Appelbaum, qui savent combien les actions entreprises par l’ONG Wikileaks leur ont valu les pires avanies. Leurs points de vue parviennent à s’extraire de leur simple expérience pour théoriser une notion, en l’intégrant aux évolutions propres à nos sociétés contemporaines. Assange parle de la communication comme fondement de toute liberté d’expression, considérant qu’une voix non répercutée par l’écoute des destinataires n’a aucune valeur. Appelbaum souhaite que l’on dissocie le droit de s’exprimer de sa possibilité économique, ce qui, évidemment, permettrait à des millions de gens d’avoir voix au chapitre. Il évoque avec lucidité ce que d’une manière plus brutale Emmanuel Todd avait nommé le "flash totalitaire", advenu dans une France soudainement et unanimement convertie à Charlie Hebdo, après les terribles attentats de 2015. Cette France du 11 janvier, où se sont multipliées les lois sécuritaires.
De son côté, la journaliste anglaise Sarah Harrison, très proche conseillère de Julian Assange, considère que les sociétés de surveillance vers lesquelles nous dérivons, sur l’effrayant modèle orwellien, sont d’autant plus efficaces qu’une grande partie des citoyens n’a pas l’impression d’en subir les conséquences, parce qu’ils ne ressentent aucune restriction dans leur liberté d’expression. Cette remarque tout à fait intéressante aurait mérité une bifurcation du documentaire vers le thème du consentement, notion philosophique chère à La Boétie. Aurait-on abdiqué à ce point toute velléité d’un usage actif des droits qui nous sont attribués, pour ne pas discerner que jour après jour nos libertés se restreignent insidieusement ? A-t-on affaire à une majorité de gens qui se contentent de ce qu’ils ont du point de vue de ces droits, en ayant l’impression d’être suffisamment libres ? Ou ne perçoivent-ils pas les coercitions qui pèsent sur eux ?
On regrette aussi que la préséance des témoignages soit accordée à quelques figures emblématiques. Le film soustrait des quantités de propos qui n’ont peut-être pas des théories ou des réflexions à faire valoir, mais, pas moins que Julien Assange ou John Kiriakou, des expériences de vie à raconter, pour cartographier une représentation encore plus démocratique du sujet. Car, après tout, la liberté d’expression concerne n’importe qui, y compris ceux qui la bafouent.
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