Odyssée royale
Le 28 novembre 2016
Ce documenteur de Peter Brosens et Jessica Woodworth met à nu les contradictions inhérentes à l’exercice de la royauté dans un geste cinématographique délicieusement doux-amer.
- Réalisateurs : Peter Brosens - Jessica Woodworth
- Acteurs : Titus de Voogdt, Lucie Debay
- Genre : Comédie, Documentaire, Documenteur / Found-footage
- Nationalité : Belge, Néerlandais, Bulgare
- Durée : 1h34mn
- Festival : Festival du Film de Comédie de Liège
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Résumé : Le roi des Belges Nicolas III est en visite d’Etat à Istanbul lorsque tout à coup, son pays se désagrège. Le roi est obligé de rentrer immédiatement afin de sauver son royaume. Malheureusement, une éruption solaire puissante empêche toutes formes de télécommunication et toute circulation aérienne. Le roi et son entourage sont dès lors coincés à Istanbul. Avec l’aide d’un cinéaste britannique et d’une troupe de chanteuses bulgares, ils parviennent, incognito, à s’échapper de la Turquie,. Ainsi commence une odyssée à travers les Balkans au cours de laquelle le Roi découvre le monde tel qu’il est et…lui-même.
Notre avis : Un documentaire parodique (mockumentary en anglais) est un film ou un spectacle télévisé utilisant la forme du documentaire pour présenter des événements fictifs afin de réaliser un effet parodique. Le but du documentaire parodique est d’analyser ou commenter l’actualité en utilisant la fiction, ou de parodier la forme du documentaire elle-même. On le désigne également par le mot-valise "documenteur".
King of the Belgians s’inscrit de plein pied dans cette mouvance fondamentale du cinéma contemporain. Dans le même genre et très proche par le sujet traité, à savoir le portrait du pouvoir conféré à un homme, qu’il soit Roi ou président, il convient de citer le prodigieux Bob Roberts de Tim Robbins (1992). Le réalisateur utilisait alors le langage et les principes du cinéma-vérité pour mener une enquête fictionnelle sur un candidat populiste, interprété par lui-même avec une délectation sarcastique. Bien que le film de Brosens et Woodworth adopte le même dispositif, leur visée est cependant toute autre. Robbins entendait débusquer l’idéologie réactionnaire américaine et la démagogie fascinante qui se cachait derrière, par l’intermédiaire d’une énorme charge critique vis-à-vis de son protagoniste principal. King propose une approche beaucoup plus bienveillante et chaleureuse destinée à démontrer, finalement très simplement mais avec une efficacité redoutable, la mélancolie et la solitude consubstantielles à l’exercice d’une fonction de chef d’état.
King of The Belgians se présente comme la rencontre miraculeuse et improbable entre Richrard Leacock (fer de lance du cinéma direct britannique des années 60, analogie renforcée par le fait que le faux réalisateur dans le film est lui-même anglais) et Frank Capra. Le documenteur débute comme un reportage saisi sur le vif dans les coulisses du pouvoir politique, comme le faisait Primary de Robert Drew (1960). Le quotidien du Roi Nicolas III est ainsi disséqué au scalpel, avec un focus en longs plans-séquences sur l’écriture des discours, la collaboration avec les conseillers, et toutes les procédures d’urgence en vigueur lors d’une crise diplomatique sans précédent. Brosens et Woodworth ne peuvent s’empêcher ici d’allègrement moquer une Belgique en mal d’identité univoque, notamment en faisant Peter van Den Begin s’exprimer aléatoirement en anglais, allemand, français et néerlandais devant les membres de son effectif. Le travail de caméra est remarquable, avec des plans fixes éloignés de la scène qui renforcent le caractère rigide et monotone de la vie royale.
Mais c’est dans ses deux seconds tiers que King of the Belgians va libérer son plein potentiel et révéler plus avant son projet cinématographique de fond. Une fois que Nicolas III et sa bande de fidèles comparses fuient la Turquie, le film va se fondre dans la forme du road-movie initiatique. Ce n’est pas un hasard si Louise Vancraeyenest, chargée de communication du Roi (interprétée par très belle Lucie Debay) compare le filmage du réalisateur britannique à une Odyssée moderne. Dès lors, au gré de rencontres savamment disséminées dans son parcours avec des paysans des Balkans, Nicolas III va-t-il être l’objet d’une profonde transformation intérieure. A présent, Brosens et Woodworth privilégient une abondance de plans rapprochés "confessionnels", en caméra portée chevillée à la silhouette dégingandée et filiforme de Peter Van den Begin.
C’est ici que la dimension "capresque" du récit se manifeste le plus clairement : le Roi, bien loin des codes protocolaires intrinsèques à sa fonction et au contact de bonheurs simples, se met à nu : il n’est jamais qu’un avatar de John Doe ou de l’extravagant Mr. Deeds. Dans sa physionomie, comme précité, mais encore bien davantage dans sa personnalité. Candide, généreux, innocent, gouailleur, presque simplet, il lui faut se rendre à l’évidence : il n’a que faire d’une aussi grande responsabilité. C’était bien le cas, toujours en parallèle, des gentils benêts de Capra, qui en venaient à perdre leur identité propre, corrompus par la détention d’un pouvoir aliénant. Très émouvant, Peter Van den Begin, acteur belge assez méconnu, trouve ici pour le moment le rôle de sa vie.
Tout à la fois étude de la perte et du morcellement identitaires, aussi bien propres à une nation qu’à une personne de chair et de sang, road-movie d’aventure exotique (certains plans larges sur les paysages des Balkans ou en mer rajoutent encore une force évocatrice quasi-métaphysique à cette Odyssée royale) et mini-reportage brut sur les affres du pouvoir royal, King of the Belgians constitue une prodigieuse réussite dans le domaine du mockumentary.
Le film n’a toujours pas de date de sortie officielle en France.
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