Le 5 octobre 2017
Par son sens du détail et son respect des paysans, Rouquier a créé une œuvre unique, forte et poétique.
- Réalisateur : Georges Rouquier
- Genre : Documentaire, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Durée : 1h40mn
- Reprise: 25 octobre 2017
- Date de sortie : 11 février 1947
- Festival : Festival de Cannes 1946
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Résumé : La chronique d’une famille de paysans aveyronnais au rythme des quatre saisons.
Critique : Tourné dans des conditions difficiles au sein d’une famille de paysans dont Rouquier faisait partie, Farrebique a été refusé à Cannes, ce qui a déclenché de vives protestations, puis diffusé hors compétition. Ce statut étrange lui a valu un prix créé exprès pour lui, le Grand Prix de la Critique Internationale. Après quoi, le film a été un succès, d’autant plus étonnant qu’il n’a pas grand-chose d’une œuvre commerciale, et même qu’il n’en a aucun trait : acteurs amateurs, absence de péripéties et d’intrigue, dialogues rares et partiellement en patois, rythme lent, toutes caractéristiques qui évoquent parfois le futur L’arbre aux sabots d’Olmi. Et malgré ces handicaps, aujourd’hui comme hier, il fascine et hypnotise par sa sobriété et sa rigueur.
On suit donc une famille du Rouergue, à la fin de la guerre, pendant une année : entre travaux des champs et vie quotidienne, l’existence repose sur le rite, la répétition, et les menus ou grands événements qui la ponctuent. On passe ainsi d’une naissance à un décès, comme on se demande s’il faut installer l’électricité ou agrandir la maison. Peu de discussions chez ces taiseux, mais elles ne concernent jamais l’accessoire : hormis la danse et le vin du dimanche, les distractions sont rares et la journée ponctuée davantage par des tâches que des loisirs. Une vie âpre donc, que Rouquier n’idéalise pas plus qu’il ne la dévalorise : il ne la juge pas, il l’observe, voire la reconstitue puisqu’on sait qu’il a « trafiqué » la réalité (le grand-père n’est pas mort, le fils était déjà marié) et qu’il a filmé en « morcelé », rendant par le montage l’unité à des prestations individuelles. C’est que la réalité au cinéma n’existe pas, et qu’il convient pour toucher au vrai d’utiliser avec parcimonie l’artifice. Le cinéaste ne s’en prive donc pas, recourant à l’accéléré à plusieurs reprises. Mais, fidèle à son maître Robert Flaherty, il sait que ce ne sont pas les moyens qui importent : seule la fin compte.
Le quotidien est montré dans sa nudité et ses détails : pétrir le pain, labourer, traire sont des actions capitales, mais d’autres plans s’attardent sur un orage ou des sabots, une grenouille ou la soupe. C’est de cet ensemble, soutenu par un son direct capital que naît la proximité entre un monde lointain et le spectateur. Il faut bien cela pour pénétrer dans une société qui nous semble médiévale, régie par des traditions immémoriales comme le droit d’aînesse. De fait et quelles qu’aient été ses intentions, Rouquier livre un document anthropologique, précieux et puissant grâce à une absence de distance, mais aussi à sa retenue ; si émotion il y a, et il y en a, elle vient moins d’un pathos hors de propos que de la délicatesse qui entoure les moments les plus forts. Ainsi recourt-il à la métaphore de la chaise vide pour annoncer la mort du grand-père, qui sera effective avec le gros plan des pulsations qui s’arrêtent.
Ne contiendrait-il que les magnifiques séquences de vie quotidienne, Farrebique serait déjà un grand film. Mais les inserts nombreux sur des animaux et des végétaux suggèrent une autre piste que la simple élégie : une vision du monde se dégage petit à petit qui dit un rapport à la nature serein et placide fait d’une acceptation inquiète (la peur de la grêle) et l’interdépendance avec les hommes. Vision panthéiste si l’on veut, ni noire ni idéalisée, mais contrainte par la quasi-autonomie de cette famille. Si les changements s’annoncent, et ils seront manifestes dans la suite tardive Biquefarre (1983), on est encore dans une harmonie ancestrale, une agriculture peu mécanisée qui suppose une connaissance aiguë des manifestations naturelles.
Taraudés par des problèmes d’argent, peu démonstratifs, en activité constante (Rouquier suggère que la mise à l’écart du grand-père le conduit à la mort), les personnages du film sont incontestablement vrais ; et s’ils se montrent raides dans leur incarnation, ils possèdent sous le regard du cinéaste une humanité touchante qui a franchi les années. Ne lésinons pas, Farrebique est un chef-d’œuvre incomparable, une ode universelle fondée davantage sur la litote que sur l’excès et qui procure au spectateur une sensation de grâce.
Grand prix de la Critique Internationale (Cannes, 1946), Grand Prix du Cinéma français (1946), Médaille d’or à Venise (1948), Grand Épi d’or à Rome (1953), Sélection Cannes Classics (2016)
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