Le 7 août 2002

Une fable légère et sans prtention sur le sentiers retors du plaisir.
Le Brésil exporte mieux ses footballeurs que ses auteurs. La jeune littérature brésilienne s’aventure pourtant, avec prudence, outre-Atlantique. Luis Fernando Verissimo fait partie de cette nouvelle génération de journalistes-écrivains un peu touche-à-tout, qui cultivent la légèreté et l’humour dans des romans sans prétention. Autre regard.
Chaque mois, depuis plus de vingt ans, le Club du Hachis se réunit pour un dîner qui, au fil des ans, s’est raffiné à l’extrême. La réunion d’étudiants des origines s’est transformée en grand messe des papilles, où les saveurs ne valent que si elles sont ruineuses. Mais le temps lamine le désir, et le rituel a du plomb dans l’aile. C’est alors qu’apparaît Lucidio, comme une énigme démoniaque, shakespearien en Diable, Deux ex machina d’un cérémonial qui va soudain changer de visage. Au plaisir des papilles va se greffer le danger, danger de mort, comme une roulette russe où aucune balle ne manquerait. "Tout désir est un désir de mort..." A partir de ce qui pourrait être une maxime orientale, les dix convives vont reprendre goût à la vie et au plaisir, attisés par l’excitation de cette mort annoncée qui rend toute sensation unique, initiatique.
L’intrigue policière se donne des faux airs d’Agatha Christie, dans ce qui serait une parodie des Dix petits nègres. Et puis quelle importance, puisqu’on sait pertinemment qui tue et qui sera tué. C’est bien là que le roman change de ton, de genre même, pour approcher l’étrange alchimie qui confond le plaisir et la mort. Le Club - dont les réunions alimentaient même un entrefilet dans les revues mondaines - devient société secrète, verrouillée dans une logique qui échappe au commun. Le plaisir des sens est éclipsé par une toute autre ivresse, le rendez-vous avec la Mort, le luxe suprême de ne pas être fauché par surprise, d’attendre la fin les yeux ouverts.
Lucidio, qui, nous dit-on, "n’est pas un des cent dix-sept noms du Diable", apporte à ces dîners une solennité biblique, une dimension christique à la sentence de mort.
Verissimo nous guide d’une plume légère sur les sentiers retors du plaisir et de son revers. Pas d’effets inutiles, pas d’envolées philosophiques... seulement la fable, colorée et enlevée, qui nous dévoile nos contradictions, nos fantasmes, et quelque chose des rouages du plaisir !
Bon appétit !
Luis Fernando Verissimo, Et mourir de plaisir (O Clube dos Anjos, traduit du portugais par Geneviève Leibrich), Seuil, 2001, 176 pages, 15 €