Doubles vies - la critique du film

Critique : Depuis le début de sa carrière, Olivier Assayas prend un malin plaisir à multiplier les projets divers et variés entre créativoté et décryptage du monde, réflexion et exigence cinématographique. Après une formation de graphiste, il devient critique de cinéma, pour, entre autres, la très sérieuse revue Les Cahiers du cinéma et s’intéresse tout particulièrement à la nouvelle vague du cinéma asiatique.

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En 1986, il participe à l’écriture du scénario de Rendez-vous d’André Téchiné, puis, après plusieurs courts-métrages, réalise en 1986 son premier long-métrage Désordre. Mais c’est le biopic consacré au terroriste international Carlos en 2010 qui lui accordera définitivement les faveurs du grand public. Après le drame mystérieux Sils Maria tout auréolé de l’excellent jeu de Juliette Binoche, puis deux ans plus tard, le controversé Personal shopper qui, tous deux, soulignaient déjà l’incursion des réseaux sociaux dans notre quotidien, Olivier Assayas continue de s’interroger sur la façon dont l’obligatoire adaptation au numérique transforme nos vies et bouscule nos convictions les plus profondes et nos valeurs les plus essentielles. Lorgnant du côté de Rohmer, et plus précisément de L’arbre, le maire et la médiathèque qui, à travers la politique, abordait déjà les enjeux de la transformation de la société française, il souhaite instaurer un débat d’idées propre à susciter l’intérêt du public autour des possibilités et des risques de la modernité.
Le scénariste-réalisateur imagine alors une rencontre au cours d’un déjeuner entre un éditeur charismatique et responsable (Guillaume Canet) et un écrivain bohème (Vincent Macaigne plus vrai que nature). Pêle-mêle, il y est question du bien-fondé ou non du remplacement du livre papier par une version numérique, de l’incapacité de l’un à envisager autrement son rôle de chef d’entreprise et de l’autre à trouver l’inspiration pour renouveler une écriture qui ne fait plus recette, et enfin du formatage de nos idées soumises au filtrage de la blogosphère.

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Puis, doucement, à travers l’évocation d’une relation adultère infiniment banale, la réflexion s’oriente vers la place du couple dans le monde contemporain. A l’heure où tout s’expose, une double vie est-elle encore possible ? Alain est marié avec une comédienne (Juliette Binoche) qui ne s’épanouit guère dans sa participation à une série de peu d’envergure et se console dans les bras de Léonard dont, au contraire de son mari, elle apprécie le dernier livre. De son côté Valérie (Nora Hamzawi), la femme de Léonard, assistante parlementaire, travaille dans un monde réel bien éloigné de ces personnages egocentrés issus du microcosme artistique parisien et pallie ainsi aux carences domestiques et financières de son mari. Quant à Alain, histoire de se familiariser au mieux avec ces nouveautés qui l’intriguent et l’affolent, il décide de se rapprocher au plus prés de Laure (l’excellente Christa Théret), en charge de la transformation numérique au sein de sa maison d’édition qui, en plus d’être intelligente et séduisante, évolue en toute assurance dans ce monde contemporain.

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Tissant patiemment les liens entre les personnages, le scénario entretient juste à point le mystère autour des notions de vérité et de mensonges et s’articulent dans un cruel face-à-face entre un monde bouleversé et des êtres humains en quête de repères. Car derrière la dénonciation de la percée du numérique au cœur de la culture se cachent les craintes et les failles inhérentes à l’homme. D’action, il ne sera jamais ici question. Doubles vies comédie malicieuse et bavarde n’existe que par la force de ses dialogues qui, en plus de ne laisser aucun temps mort au débat, sont portés par des comédiens inspirés qui ont tôt fait de les transformer en joutes verbales passionnantes. Si l’on ne doute pas que Guillaume Canet, Juliette Binoche et Vincent Macaigne aient la conviction nécessaire pour délivrer aux spectateurs quelques points de vue étayés, c’est du côté de Nora Hamzawi que se tournent tous les regards. Toujours juste, elle crée l’empathie et apporte la note de sensibilité et d’humour nécessaire à l’équilibre de cette œuvre que son apparence intellectuelle n’empêche nullement d’être drôle.