Confessions d’un fumeur de crack
Le 15 janvier 2014
Gérard Kikoïne mêle les mythes cinématographiques du Dr Jekyll et de Jack l’Eventreur pour une performance sur mesure d’Anthony Perkins dans un long métrage qui doit beaucoup à l’esthétique des films du Ken Russell des années 80...
- Réalisateur : Gérard Kikoïne
- Acteurs : Anthony Perkins, Glynis Barber
- Genre : Fantastique, Thriller, Épouvante-horreur
- Nationalité : Britannique, Français, Hongrois
- Durée : 1h25mn
- Titre original : Edge of Sanity
- Date de sortie : 14 avril 1989
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Gérard Kikoïne mêle les mythes cinématographiques du Dr Jekyll et de Jack l’Eventreur pour une performance sur mesure d’Anthony Perkins dans un long métrage qui doit beaucoup à l’esthétique des films du Ken Russell des années 80...
L’argument : Le brillant docteur Jekyll expérimente dans son laboratoire une nouvelle drogue anesthésiante plus puissante que la morphine. Après l’avoir testée sur un singe et sur des patients, il devient son propre cobaye et, en inhalant la fumée émise par cette substance, il plonge dans l’addiction, la schizophrénie, la folie et le meurtre. Peu à peu, son double pervers, l’ignoble M. Hyde prend le dessus sur le docteur.
Notre avis : Étrange surprise que de retrouver un des grands noms du porno français de la fin des années 70 et début 80 à la réalisation de cette adaptation du célèbre roman de Robert Louis Stevenson. Gérard Kikoïne a, en effet, à son palmarès quelques titres aussi explicites que Parties fines, Entrechattes, Adorable Lola ou encore Bourgeoise et pute. Tout un programme, mais rien à voir avec le cinéma d’épouvante. Cela dit, ce passé nous donne quelques indices quant à la nature fortement sexualisée de cette interprétation du mythe, qui a pour originalité de faire le lien avec une autre histoire qui a secoué l’Angleterre victorienne, non fictive celle-ci : il s’agit des crimes de Jack l’Éventreur. D’emblée, le long métrage opte pour une approche singulière du film en costumes vu que l’ambiance londonienne de la fin du XIXe siècle est mêlée à de nombreux accessoires et vêtements contemporains des années 80. Les prostituées ressemblent toutes à la Madonna de la période “Like a Virgin”. Les éclairages au néon, abusant des couleurs bleues et rouges, donnent des allures de vidéo clip à l’ensemble. Même Anthony Perkins, avec son teint blafard et ses yeux soulignés de rouge, a tout de la rock star décadente. Avec ses longs habits noirs et sa maigreur cadavérique, il arbore des faux airs de Peter Murphy, mais en moins glamour. Ben Cole, quant à lui, possède tout l’attirail du chanteur synthpop/new wave, et l’esthétique d’ensemble renvoie au travail de Ken Russell de l’époque, en particulier dans Les jours et les nuits de China Blue (dans lequel Perkins jouait un rôle assez proche) ou Gothic. Ce choix de mêler les époques est, en fait, très judicieux car c’est quand le monde nocturne de Jack Hyde prend le pas sur la personnalité du Dr Jekyll que tous ces éléments très eighties apparaissent, comme dans une vision fantasmatique, à mille lieues de la réalité. En revanche, le quotidien diurne du médecin s’apparente plus aux productions de la Hammer, sans s’offrir trop de digressions quant aux règles du film historique.
La cinémathèque de Toulouse © Archives de la cinémathèque de Toulouse
La sexualité déviante et la psychologie tourmentée, qui sont au centre du film, se mêlent à une représentation d’un monde quasi fantastique. Les références à l’homosexualité sont légion (la scène de sauna où le regard du Dr Jekyll semble être perturbé par tous ces jeunes éphèbes se caressant le torse, le mot “Boy” sur la ceinture de la première prostituée qu’il égorge, etc.). C’est d’ailleurs quand un homme regarde les actes de Mr Hyde que celui ci semble prendre du plaisir, notamment par la masturbation, car la femme n’est ici que chair qui éveille des sentiments de dégoût et de répulsion. On remarquera aussi que la canne, symbole de l’impotence du Dr Jekyll, devient attribut phallique pour Mr Hyde (la scène proprement timbrée où il masturbe une jeune femme sur un toit d’immeuble avec sa canne pour offrir un spectacle à un voyeur posté à sa fenêtre). Ce contexte donne une force toute particulière à l’interprétation, certes excessive, d’Anthony Perkins. L’acteur a toujours été plus ou moins cantonné à reproduire le rôle de Psychose durant toute sa carrière. Ce Dr Jekyll et Mr Hyde n’échappe pas à la règle, à la seule différence que la schizophrénie et la folie du personnage renvoient directement à la double vie de l’acteur, père de famille d’un côté et homosexuel de l’autre, comme dans un effet de miroir tragique et ludique à la fois. À travers ce qui allait être un de ses derniers rôles à l’écran (il allait mourir trois ans plus tard du sida), peut-être a-t-il voulu en dire plus sur sa propre réalité ? S’agit-il au bout du compte d’un film-expiation, révélant un véritable drame personnel derrière une outrance visuelle ? En tout cas, on ne peut nier qu’il prend son personnage très à cœur, changeant en permanence son registre vocal, en faisant des tonnes, à la fois exubérant et terrifiant. L’acteur irradie et absorbe le regard, aussi dément que le laisse présager le titre original.
La cinémathèque de Toulouse © Archives de la cinémathèque de Toulouse
Techniquement, le film présente aussi de nombreuses qualités. Les décors sont somptueux (notamment le laboratoire du docteur), les costumes délirants, la partition de Frédéric Talgorn à la fois symphonique et élégante, et la photographie très léchée contraste avec la vulgarité assumée de certains dialogues. En s’inspirant de l’expressionnisme allemand et de ses jeux d’ombres (le look d’Anthony Perkins renvoie immanquablement au Cabinet du Dr Caligari), Kikoïne ose une mise en scène originale et inventive, alternant plans d’ensemble, contre-plongées, zooms, gros plans, caméras tournoyantes. Bref, on doit dire qu’on ne s’attendait pas à une telle maîtrise visuelle de sa part. Il capte divinement l’ambiance claustrophobe de la ville, ses rue étroites, sa nuit omniprésente et son atmosphère gothique. Le seul point faible du film est peut-être son scénario, qui fourmille d’idées mais qui ne sont pas assez développées. Kikoïne a clairement voulu faire un film sur l’addiction, à travers cette nouvelle drogue qui n’est autre que le crack et la cocaïne. Du coup, l’explication freudienne sur le traumatisme du Dr Jekyll pendant l’enfance, témoin d’ébats amoureux dans une grange entre une prostituée et ce qui pourrait être son père, ne sert qu’à souligner l’impotence et la frustration sexuelle du médecin. Mais était-ce bien nécessaire, si ce n’est qu’à la fin il va rejouer la scène mais en changeant les rôles (l’humilié devient celui qui humilie) ? Cependant, c’est surtout le personnage de sa femme, qui ne se doute de rien pendant les trois quarts du métrage, et l’inefficacité de la police qui ralentissent une histoire pourtant bien rythmée. Car Dr Jekyll et Mr. Hyde est un de ces films-trips et ce n’est pas pour rien si le meurtrier amène dans sa folie d’autres personnages, notamment Susannah, la jeune fille de joie qui lui rappelle cette femme de son enfance, ou encore Johnny, l’homosexuel masochiste. C’est une vraie descente dans un monde vicieux, dérangé et obscène, là où les névroses sexuelles se teintent aux couleurs du sang synthétique. Ici, Mr Hyde symbolise la rébellion, la libération dans une société trop normée (les références au catholicisme et à la religion sont nombreuses). Du coup, ce Dr Jekyll et Mr Hyde devient une des adaptations les plus intéressantes du roman car peut-être une des pires. Kikoïne ne se sclérose pas face au texte et se permet même de parler de tout à fait autre chose (le rôle primordial de la drogue dans les milieux underground des années 80) et d’intégrer des scènes purement grotesques (la scène désopilante où Susannah s’effeuille en émettant des borborygmes saugrenus avec sa bouche, comme un langage enfantin incompréhensible alors qu’elle se malaxe les seins). Il s’autorise aussi une fin tout à fait bien sentie et proprement angoissante. Le mal règne et continue à rôder comme dans tout bon film d’horreur, mais aussi comme dans le cas de Jack l’Éventreur qui n’a jamais été retrouvé. Sur un plan métaphorique, cela peut aussi révéler la libération totale des instincts, Dr Jekyll devenant définitivement Hyde.
La cinémathèque de Toulouse © Archives de la cinémathèque de Toulouse
Au final, Dr Jekyll et Mr Hyde est un film fort divertissant, mené par une performance d’acteur possédé, mêlant le texte original à l’histoire de Jack l’Éventreur mais pour au bout du compte s’intéresser plus à la figure du drogué dans des décors mi expressionnistes mi clipesques, sortes de tableaux érotiques baignés dans un maniérisme eighties assumé.
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