Une affaire de Gout
Le 8 juin 2012
Quelque part entre la confiserie explosive et la bombe poisseuse, cette histoire de rapts mexicains est une pomme-grenade d’amour. Appétissante, brutale, adhésive, et parfois écœurante.
- Réalisateur : Everardo Gout
- Acteurs : Kristian Ferrer, Tenoch Huerta, Dolores Heredia
- Genre : Thriller
- Nationalité : Français, Mexicain
- Durée : 2h13mn
- Titre original : Dias de gracia
- Date de sortie : 13 juin 2012
- Festival : Festival de Cannes 2011
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Quelque part entre la confiserie explosive et la bombe poisseuse, cette histoire de rapts mexicains est une pomme-grenade d’amour. Appétissante, brutale, adhésive, et parfois écœurante.
L’argument : Mexico. 2002, 2006, 2010. Un flic. Un otage. Une femme. Corruption, violence, vengeance. Trois destinées, durant trente jours, pendant trois Coupes du Monde de football. Trois façons de se battre pour survivre...
Notre avis : Everardo Gout est un adopté. Un orphelin de cinéma qui saute au cou de son premier film comme on se jette dans les bras de sa famille d’accueil. Violemment, complètement, et sans recul. Lui qui avait, jusque ici, trop produit et pas assez tourné (uniquement des courts), a fait de Dias de gracia son ébrouement. Un ébrouement sauvage et halluciné, mais aussi une première salve hirsute, peut-être trop composite pour emporter nos suffrages maltraités par plus de deux heures de thriller hybride.
Saturations, flous, objectifs occultés, caméras sur bras mécaniques ou shakycams à l’épaule pour les plans séquences, greffes de pellicules (8,16 et 35mm), boutures de couleurs, cadres branques ou hyper-rigoureux, raccords dans l’axe à la Spielberg, reflets de plans plutôt que les plans eux-mêmes… Everardo n’a pas sauté un seul chapitre de son manuel du parfait fabriquant d’images. Et tout y est régi par la règle de trois, ou le principe de l’hydre : Trois personnages principaux, trois unités de temps cousines, trois unités de lieu plus ou moins vastes et donc, nécessairement, trois directions artistiques radicalement différentes. Comme si Gout cherchait dans cette logique tricéphale un alibi narratif lui autorisant tous les excès. Mais si on prend un plaisir masochiste à se faire embarquer dans les poursuites ultra-solaires des flics de Mexico, à étouffer derrière le baillon d’un otage groggy ou même à chercher des visages diffractés dans les bijoux d’une bourgeoise désarmée, la somme des propositions confine à l’hystérie. Et entraîne un vertige qui frôle parfois le mal de voir. Parce qu’en dopant perpétuellement une mise en scène plus fardée qu’un vieux marquis sadien, Gout travaille presque contre ses intentions.
Dias de gracia est, en fait, une sorte d’aimant à temps-partiel, un film intermittent du magnétisme. Comme si on avait laissé un môme hyperactif tester ses nouveaux feutres sur une simple feuille Canson. Pourquoi se limiter à ce triste cadre, quand les murs ne demandaient qu’à subir ses outrages néo-plastiques ? Heureusement, le moteur de la chose sait parfois tempérer ses pistons ardents, servir son propos, l’accompagner d’inspirations assez puissantes pour nous coller quelques scènes contre les tripes. Des scènes à emporter chez soi.
Il existe en effet une certaine catégorie de films dont on voit poindre le dénouement dès le premier quart d’heure, sans pour autant refuser de l’accompagner jusque là avec la meilleure volonté du monde. Dias de gracia en fait évidemment partie. Son récit sur la violence endémique, la corruption des idéaux et la manipulation est lui-même manipulatoire. Et tout ça découle une fois de plus de la fameuse règle de trois : Les différentes coupes du monde, par exemple, sont utilisées à la fois comme outils narratifs (au Mexique, le football est d’abord un lien social, utile pour creuser les relations entre ravisseurs et kidnappés) agents d’ambiance (en tant que moment de surconcentration émotionnelle) et surtout clones temporels (un mondial est une parenthèse inlassablement recommencée mais toujours inédite). En jonglant entre ces trois périodes, de la même façon qu’il jongle entre les humeurs visuelles et les décors mentaux ou réels, Gout fait systématiquement coulisser plusieurs époques du récit, si bien intriquées qu’elles ne forment plus qu’un seul et même arbre fictionnel, dont il nous incombe de dénouer les racines.
Inutile de vous dire que, dans un tel système, les micro-twists ou grosses révélations sont amenées avec une jouissance et un ludisme à peine dissimulés par la chape de plomb posée sur un scénario aussi tendu que l’atmosphère des bidonvilles dont il a fait sa chambre noire. Une chambre noire brillamment traversée par le personnage de Tenoch Huerta, sorte de good/bad cop simultané, aussi nerveux qu’un taureau aztèque aux portes de l’abattoir. On reverra certainement cette version esthétique de Carlos Salcido (arrière-gauche de la sélection mexicaine), monstrueuse d’intensité et de coups de boule larvés.
S’il est bordélique, pressé, inconstant, et parfois trop bavard (on se serait volontiers passés des monologues constants du kidnappé), Dias de gracia est aussi un petit tonnerre formel, à placer quelque part entre les thrillers d’airain de Peckinpah et le survoltage policier de Padhilas (Troupe d’élite). En tout cas, vous pouvez maintenant jeter vos documentaires sur la violence institutionnelle au Mexique. Celui-là est quasiment définitif, et il est beaucoup plus beau.
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