Des lambeaux de Russie
Le 12 mars 2020
Une tranche d’histoire déclinée en petites scènes de la vie quotidienne où la lucidité de l’auteur croise l’ironie d’une époque absurde.


- Auteur : Panteleïmon Romanov
- Editeur : Ginkgo
- Genre : Nouvelles
- Nationalité : Russe
- Traducteur : Luba Jurgenson

L'a lu
Veut le lire
Résumé : Ces nouvelles forment la suite naturelle du premier recueil « Des gens sans importance » qui nous avait fait découvrir une oeuvre fondée sur l’observation tendre et subtile des « petites gens ». « Des gens désenchantés » nous font retrouver Romanov le sceptique et des personnages pas plus radieux, plus sombres même. Plus féroces aussi, mais de cette férocité des pauvres à vouloir vivre. Pas des héros, pas encore des victimes mais des gens simples qui vont se trouver confrontés à une réalité où l’absurde se transforme peu à peu en oppression rampante, puis en terreur. Mais la tendresse et l’humour auxquels Romanov nous a habitués, tamisent les éclairages trop violents. Avec la force étonnante d’un observateur perspicace, ironique et lucide Romanov pratique ici l’art du portrait : l’âme humaine est mise à nu, examinée scrupuleusement au prisme du changement que connaît la Russie après la révolution. Panteteïmon Romanov 11884-1938], après avoir connu une certaine popularité, avait été complètement oublié, victime, dans les années trente, d’une censure qui n’appréciait ni l’ironie de ses écrits ni sa lucidité de Cassandre.
Critique : Témoignage historique et social à la valeur indéniable, Des gens désenchantés est la suite naturelle du premier recueil de Panteleïmon Romanov et édité chez Ginko éditeur : Des gens sans importances. Les personnages y demeurent aussi peu radieux. Leurs fragments de vie se donnent à vivre comme autant de rencontres avec l’art du portrait. Un art fort bien maîtrisé par cet écrivain censuré dans les années trente et redécouvert cinquante années plus tard en France, ainsi que dans son pays.
Panteleïmon Romanov est un des rares auteurs russes à avoir créé une gamme aussi étendue de perceptions et de sentiments. S’il manie avec maestria des styles aussi différents d’écriture, c’est probablement parce que son œuvre est un miroir tourné vers le peuple dans sa multitude et sa diversité ; une tranche d’histoire déclinée en petites scènes de la vie quotidienne, dans lesquelles la lucidité de l’auteur croise l’ironie d’une époque absurde. Voilà une inspiration enracinée dans le vivant qui vacille entre l’humour vengeur et l’abnégation cynique. Le désenchantement qui gagne invariablement les individus peuplant ces dix nouvelles n’est pas l’exclusivité des petites gens. Il gagne aussi bien le miséreux que l’écrivain sans parti évoluant dans une peur permanente.
L’auteur nous soumet une prose troublante d’objectivité, sobre dans les détails, simple, perspicace et véritable, ne laissant que l’essence d’un témoignage abrupt de la douleur et de la dignité menacée. Un tableau sombre qui n’est pas sans rappeler parfois le Voyage au bout de la nuit de Céline. Il y aurait comme "une férocité des pauvres à vouloir vivre".
Panteleïmon Romanov, Des gens désenchantés (traduit par Luba Jurgensen, Ginkgo éditeur, coll. "Lettres d’ailleurs", 2006, 196 pages, 15 €