Le 21 septembre 2020
La cité HLM des Mureaux, construite pour loger les ouvriers de l’usine Renault dans les années 1960, constitue le décor d’une histoire du prolétariat des années 2010. En donnant la parole à une diversité d’habitants, Manon Ott montre une banlieue poétique, remarquablement esthétique et politique.
- Réalisateur : Manon Ott
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Distributeur : Docks 66
- Durée : 1h13min
- VOD : Universciné
- Reprise: 18 juin 2020
- Date de sortie : 25 septembre 2019
- Plus d'informations : Page Facebook du film
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Résumé : Portrait poétique et politique d’une banlieue ouvrière en mutation, le documentaire de Manon Ott nous invite à écouter les paroles d’habitants des cités des Mureaux, près de l’usine Renault-Flins. Qu’elles soient douces, révoltées ou chantées, au pied des tours de la cité, à l’entrée de l’usine ou à côté d’un feu, celles-ci nous font traverser la nuit jusqu’à ce qu’un nouveau jour se lève.
Critique : Lorsque l’on songe à un film évoquant les luttes sociales, on pense à des grèves, des récits de parcours de vie, des situations du quotidien où l’on montre les difficultés. Mais lorsque Manon Ott décide de filmer une cité des Mureaux, elle en fait de l’art, se débarrasse de la forme documentaire journalistique, trop linéaire, pour n’en faire jaillir que les flammes poétiques de ceux qui vivent ce quartier, cette banlieue si souvent stigmatisée.
En choisissant de filmer en noir et blanc, la réalisatrice souligne la dimension poétique de son projet. Donner la parole aux habitants qu’elle a choisi, c’est leur permettre non pas de se raconter, eux, personnellement, mais d’illustrer un propos qui n’a d’autre ambition que de définir le prolétariat d’aujourd’hui. Que pensent-ils de leur situation ? Quels sont leurs rêves, leurs espoirs, leurs joies ? Les portraits successifs à l’écran permettent de livrer à l’écran les facettes de cette définition : de la vie difficile à l’usine, du déclassement social, des ambitions perdues, des perspectives ou du lien à la citoyenneté. Leurs noms ne sont pas inscrits à l’écran lors des témoignages : nous sommes bien dans un film, pas dans un reportage pour les médias. Le noir et blanc, c’est aussi un clin d’œil au long métrage La Haine de Mathieu Kassovitz qui retraçait une journée aux côtés de la jeunesse des banlieues en pleine révolte. Là encore, le format du film privilégie une journée, une nuit, une aube, comme un parcours de vie.
Mais ici, pas de révolte, de violence, juste des pensées, des images. C’est en cela que réside l’originalité de ce film : le spectateur n’est pas témoin d’un événement, il est simplement invité à des rencontres, sans voyeurisme, ni jugement. Ces simples discussions pourraient se dérouler n’importe où, avec des personnes d’horizons différents. C’est bien le parti pris de Manon Ott, par ailleurs chercheuse en sciences sociales : avoir étudié, rencontré, partagé avec ces habitants pendant des années, avant elle-même de s’installer aux Mureaux et aujourd’hui d’en faire un film. A travers cette immersion, le film devient une revendication politique.
La classe ouvrière en mutation, c’est celle de l’échec de la République : alors que les plus anciens allaient travailler à l’usine par nécessité, sans même parfois parler la langue, ni avoir étudié, la génération actuelle, diplômée, se retrouve quant à elle contrainte, prisonnière de son quartier, son origine. La précarisation de l’emploi a cassé les luttes collectives, offrant certes le choix de ne pas aller à l’usine, mais pour travailler dans un autre secteur, loin de la chaîne, toutefois aussi contraignant et productiviste. Quand vient le soir, les lumières des villes sont comme des braises dans le paysage et la cité s’anime une nouvelle fois : musique, danse, balade, pourquoi pas un feu dans la nature… On se retrouve, on échange, on rêve. L’environnement est bruyant, la beauté réside alors dans la fugacité d’un moment, le groupe, dans le regard de celui qui aime l’endroit où il vit. « Mais c’est ici la maison ! », a-t-on entendu dans la bouche d’un jeune qui évoque la représentation politique qu’il n’attend plus. En donnant la parole à ceux que l’on ne connaît pas, la réalisatrice leur permet d’être écoutés, mais ne parvient pas à aller au-delà, ce qui donne au film un sentiment qui peut être joyeux, mais reste fataliste.
Sans en avoir l’air, De cendres et de braises raconte un pan de l’histoire française : celle de la mutation de la classe ouvrière, à la fois prisonnière de sa condition par une vision stigmatisée de l’ensemble de la société, mais aussi de ses dérives liées aux chants des sirènes capitalistes, liées à l’argent et la consommation. Ce documentaire engagé, à l’esthétique soigneusement travaillée à travers un regard immersif, sans jugement ni misérabilisme, pose, en somme, un regard neuf sur les quartiers populaires de la France de notre époque.
Test DVD/Bluray
Les suppléments :
- un entretien avec la réalisatrice (21’), qui explique la genèse du film, comment certaines scènes ont été tournées et le travail sur l’image. Cet entretien constitue un bon complément au documentaire, pour mieux appréhender l’intention de Manon Ott.
- bande-annonce
- un film de Grégory Cohen, "La cour des murmures" (49’) sur la transposition des "Liaisons dangereuses" de nos jours, dans la cité. Le film, très imparfait, fait cependant écho, d’un point de vue fictionnel, au documentaire. Intéressant sur le travail de construction d’un récit, en parallèle avec le documentaire.
L’image :
Format 16/9, image correcte.
Le son :
Son stéréo parfois un peu faible.
– Grand Prix des Ecrans Documentaires 2018
– Prix du Moulin d’Andé des Ecrans Documentaires 2018
– Prix "restitution du travail contemporain" au festival "Filmer le travail" 2019 et en sélection officielle d’une dizaine de festivals internationaux
DVD : 19,99€, vente sur Alchimistes Film
Galerie photos
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