Le temps suspendu
Le 1er août 2020
Une épopée sur les débuts du cinéma, dans une petite ville née de la ruée vers l’or. Ce film n’est pas seulement une plongée dans les débuts d’une industrie de divertissement. Il retrace aussi un pan de l’Histoire de l’Amérique. Ambitieux et fascinant.
- Réalisateur : Bill Morrison
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Théâtre du Temple
- Durée : 2h00mn
- Titre original : Dawson City- Frozen Time
- Date de sortie : 5 août 2020
- Plus d'informations : Théâtre du Temple Distribution
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Critique : A la découverte de centaines de bobines 35mm datant du tout début du XXème siècle, c’est littéralement un trésor de l’histoire du cinéma qui ressurgit. Nous possédons peu de copies de ces productions d’époque, en raison du support alors utilisé, inflammable, mais surtout parce que ces copies étaient détruites. Alors pourquoi les a-t-on retrouvées aussi nombreuses dans le sol de Dawson City ?
Cette commune est une ville canadienne du Yukon, théâtre de la ruée vers l’or à la fin du XIXe siècle. Beaucoup d’entre nous visualisent cette époque à travers le long métrage de Chaplin, La ruée vers l’or en 1925. Là, Bill Morrison nous montre des photographies, des films d’époque de cette période folle, où l’espoir de la prospérité fut aussi intense qu’éphémère. Beaucoup d’appelés, beaucoup de déçus. Ceux qui ont fait fortune sont rares, les terres ont alors été entre les mains de quelques-uns, héros du rêve américain, bâtissant leur fortune sur l’exploitation des terres qu’ils se sont auto-attribuées. Ainsi est née Dawson City, ville à la confluence du fleuve Yukon et de la rivière Klondike, qui passait alors d’un petit camp de pêcheurs à une ville de 40.000 habitants, en 1898. Face à cet afflux soudain de population, des saloons, théâtres, casinos et cinéma se construisirent. Le divertissement emplit le cœur de la ville, pour toujours répondre aux besoins croissants de la population. A partir de là, de nombreux films seront projetés.
- Crédits Théâtre du Temple
Dawson City, le temps suspendu retrace cette histoire-là, celle de l’exploitation du cinéma concomitante au mythe américain de la ruée vers l’or et au rêve de faire fortune, en ne partant de rien. Peu importe si pour cela, les populations indigènes, les Tr’ondëk Hwëch’in, descendants des Hän, ayant vécu pendant des millénaires sur les berges du fleuve Yukon, sont délogées et déportées. Rapidement, au début du XXe siècle, en 1902, de grandes compagnies exploitent les gisements aurifères, comme un symbole du capitalisme libéral cher à l’Amérique du Nord.
En déroulant le fil de l’Histoire de Dawson City, Bill Morrison lie la naissance du cinéma comme industrie à cette époque de l’aventure, illustration d’une volonté farouche de fuir une vie monotone. L’exaltation se ressent alors dans la vie et sur les écrans : à travers le cinéma, on voyage, on découvre, on comprend davantage le monde qui nous entoure. La naissance des actualités filmées ouvre les horizons : le cinéma sert aussi de transmission de l’information. Les films d’époque, dont les extraits sont montrés, témoignent non seulement de la vie quotidienne et des intrigues qui l’entourent, mais aussi de la manière dont on fait du cinéma. Le long métrage muet en noir et blanc met bien évidemment l’accent sur la mise en scène, le jeu corporel, l’intrigue. Ainsi, on peut retrouver des scènes parallèles dans différentes œuvres, qui peuvent presque se répondre en écho, car les procédés sont limités, malgré une production prolifique.
Au-delà du sujet fascinant, l’originalité du documentaire tient aussi dans sa forme. Le réalisateur mêle extraits de films, photographies d’époque et images d’archives de presse pour son documentaire. Les seules paroles sont celles qui sont prononcées de nos jours, avec la couleur. La narration est portée par la musique d’Alex Somers, parfois envoûtante, parfois monotone, qui confère à certains moments un rythme trop lent. La narration est écrite comme une chronique, où l’on découvre les personnages de cette histoire des bobines oubliées, le temps aussi, avec un sens de la mise en scène qui résonne dans l’Amérique d’aujourd’hui : les manifestations des populations noires pour leur droit au milieu du siècle dernier ou la naissance de la fortune de la famille Trump.
- Crédits Théâtre du Temple
Dawson City est montrée comme l’épicentre de l’Amérique, telle que son image la reflète aujourd’hui : l’idéal entrepreneurial, l’exploitation des ressources, la cohabitation des minorités et le foisonnement de la culture divertissante. A cela s’ajoute l’idée qu’il n’y pas de passé, que tout est toujours mouvant, à travers la destruction et la création permanente ; le fait de mentionner les incendies qui se succèdent et les reconstructions qui en découlent en est une parfaite illustration.
A travers ce film, Bill Morrison semble prendre le contrepied de cette image, avec un œil critique et passionné par l’histoire du cinéma, propose un voyage dans le temps pour lequel on embarque bien volontiers. Malgré sa longueur, le parti pris esthétique et la profondeur du propos font de Dawson City, le temps suspendu, un documentaire remarquable, qui satisfera tout autant les cinéphiles que les amateurs d’Histoire américaine.
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