La transparence et l’obstacle
Le 29 novembre 2006
Un garçon courageux, intelligent et raisonnable va frôler les limites de la folie. Une écriture romanesque de premier ordre.



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Résumé : Le jeune John Egan est un enfant particulièrement précoce : à douze ans, sa voix a déjà commencé à muer, et il est anormalement grand pour son âge. Mais le plus exceptionnel, selon lui, est sa capacité innée à reconnaître à coup sûr un mensonge. Du haut de son jeune âge, cet Irlandais qui comprend très vite tout ce qu’on lui cache n’a pas encore acquis la sagesse qui lui permettrait de laisser dans l’ombre les vérités les plus difficiles à entendre.
Un garçon courageux, intelligent et raisonnable va frôler les limites de la folie. Une écriture romanesque de premier ordre.
M.J. Hyland est née à Londres en 1968, de parents irlandais. Elle a passé son enfance à Dublin avant que sa famille n’émigre en Australie. Ce déménagement imposé, difficilement vécu, semble à l’origine d’une prose empathique et épurée déjà remarquée dans son premier roman, Le voyage de Lou, paru en 2005 aux éditions Actes Sud également. Cette prose provoque un investissement émotionnel troublant chez ses lecteurs (une bribe d’explication à cela : Hyland a enseigné le droit criminel à l’université de Melbourne). Son dernier roman, Dans tes yeux, qui figure sur la deuxième sélection du Booker Prize 2006, fait à nouveau cas de personnages souvent déboussolés, pour ne pas dire désaxés. Au centre de ce récit qui débute à Gorey en Irlande : John Egan, un garçon de douze ans dans un corps d’homme, qui méprise le mensonge au plus haut point. Ce préadolescent dont le corps a prématurément évolué vers une forme adulte connaît une passion étonnante pour le Livre Guinness des records. Cet intérêt pour les aptitudes hors du commun le plonge dans une exploration intensive de ses propres talents. Or, il en est intimement persuadé, il est un détecteur de mensonge infaillible, qui désigne directement le réel et ne peut s’encombrer de la ridicule opacité des rapports entre adultes. Déterminé à ôter le masque, il consigne en guise de carnet de bord les propos douteux de son entourage dans un "Journal des mensonges". Son équilibre fragile va se trouver menacé par un déménagement inévitable et non consenti dans un quartier pauvre de Dublin.
Le livre, écrit à la première personne, nous plonge au cœur d’un bouleversant dialogue intérieur. Il révèle une naïveté inhérente à l’enfant dans sa conception de la culture et des échanges entre les hommes. John, allergique aux trompe-l’œil et hanté par le non-dit, est à la fois touchant parce qu’il incarne l’innocence perdue mais aussi inquiétant dans sa recherche de la transparence et de l’attention exclusive de sa mère.
Concevant la dissimulation comme une rétention de la vérité intentionnellement dirigée à son endroit et refusant de considérer la réalité comme un mélange de vérité et de mensonge, ce petit garçon a quelque chose qui fait inévitablement songer à Jean Jacques Rousseau. Ce qui n’est pas le moindre mérite de ce roman très stimulant et fouillé.
M.J. Hyland, Dans tes yeux, Actes Sud, 2006, 383 pages, 21,80 €